Au Laboratoire Matériaux et Durabilité des Constructions de Toulouse, les travaux de thèse de Moustapha Sow sont intitulés “Réalisation d’éco-ciments par la valorisation de cendres volantes de charbon non conventionnelles issues de centrales thermiques Spreader Stoker”. Ils ont pu montrer le potentiel de valorisation intéressant de ces cendres dans les matrices cimentaires. Explications.
I – Contexte et problématique
L’utilisation de sous-produits (cendres volantes de charbon pulvérisé, laitier de hauts fourneaux, fumée de silice) dans la fabrication de ciments composés est connue depuis longtemps. Elle fait l’objet de la norme NF EN 197-1, afin de respecter des exigences physico-chimiques. Cependant, il existe des situations locales où la valorisation de sous-produits particuliers représente un enjeu majeur.
Tel est le cas sur l’île de La Réunion où des centrales thermiques produisent, chaque année, plusieurs milliers de tonnes de cendres volantes de type “Spreader Stoker” (CVSS). Celles-ci sont envoyées en site d’enfouissement, car non conformes à la norme EN 450-1 spécifique aux cendres volantes siliceuses obtenues par le procédé traditionnel “charbon pulvérisé” (CP). La raison s’explique par le type de chaudières utilisé, qui peut calciner :
- soit les biomasses comme la bagasse lors de la récolte de la canne à sucre,
- soit le charbon lors de la saison non sucrière.
Les cendres volantes de charbon qui en résultent, contiennent alors un taux de particules imbrûlées plus élevé que les cendres volantes normalisées.
Le potentiel de la valorisation
Au Laboratoire Matériaux et Durabilité des Constructions (LMDC) de Toulouse, les travaux de thèse du docteur Moustapha Sow, intitulés “Réalisation d’éco-ciments par la valorisation de cendres volantes de charbon non conventionnelles issues de centrales thermiques Spreader Stoker”, ont pu montrer le potentiel de valorisation intéressant des CVSS dans les matrices cimentaires. Les sociétés CICM1et Albioma2 ont financé ces travaux. Afin de produire dans un futur proche et en partenariat avec LafargeHolcim Réunion, des ciments composés en complément de ceux actuellement commercialisés, contenant de la pouzzolane naturelle. Ce projet permettrait ainsi de :
- valoriser localement un sous-produit,
- éviter le remplissage à long terme des centres d’enfouissement,
- diminuer la quantité de clinker à importer,
- mais aussi de réduire les émissions de CO2liées à la production de clinker.
II – Caractéristiques des CVSS
Le travail effectué au LMDC a permis de caractériser les CVSS. Celles-ci sont composées de silice, d’alumine et d’oxydes ferreux comme les cendres volantes de charbon pulvérisé CP [voir Tableau A]. Elles disposent d’une structure polyphasique cristallisée et d’une phase amorphe, conférant une réactivité pouzzolanique. Les CVSS sont en partie constituées de particules sphériques, identiques à celles rencontrées dans les cendres volantes CP, actuellement valorisées dans la construction [voir Figure 1], mais présentent une masse volumique légèrement inférieure.
Par ailleurs, elles contiennent une quantité d’imbrûlés, avoisinant 28 %, soit bien au-delà des 9 % prescrits par la norme NF EN 450-1. Permettant notamment d’expliquer la valeur deux fois plus élevée de la surface spécifique, en comparaison avec les cendres CP. Afin d’envisager la faisabilité de la valorisation de ces cendres aux caractéristiques particulières, il a fallu réaliser des essais préliminaires sur mortiers normalisés, contenant des CVSS en tant qu’additions (remplacement de 25 % de ciment). Malgré une diminution de la maniabilité et un léger retard de prise, les propriétés mécaniques de ces mortiers se sont révélées intéressantes, avec un indice d’activité à 28 j supérieur à la valeur minimale de 75 % spécifiée par la norme NF EN 450-1, probablement en raison de son activité pouzzolanique significative [voir Figure 2].
III – Fabrication de ciments composés en laboratoire
La valorisation des CVSS dans des matrices cimentaires se heurte à deux verrous. Le premier consiste à évaluer les avantages et les inconvénients de ces cendres par rapport à la pouzzolane naturelle. Cette dernière est le seul matériau utilisé actuellement sur l’île de La Réunion en remplacement de clinker dans la fabrication de ciment. Et le second, à analyser le rôle des imbrûlés contenus dans les CVSS. En comparant des ciments contenant des cendres brutes (CVSS) à des cendres, dont les imbrûlés ont été retirés (CVSS*).
Le LMDC s’est donc chargé de réaliser des ciments ternaires et quaternaires, afin d’évaluer quelques combinaisons entre les cendres, la pouzzolane naturelle et le laitier de hauts fourneaux. En comparaison avec la pouzzolane :
- les CVSS améliorent les performances mécaniques des ciments
- mais dégradent leur maniabilité et le temps de prise, du fait de la présence d’imbrûlés, jouant sur la demande en eau.
Cependant, cet effet reste négligeable pour un taux de remplacement, n’excédant pas 30 % de CVSS dans le liant.
Du fait de leur forme pulvérulente, elles permettent un gain significatif en temps de broyage et en finesse globale du ciment fabriqué. Les ciments ternaires et quaternaires ont montré une bonne interaction entre les CVSS, la pouzzolane et le laitier, permettant d’augmenter le pourcentage de substitution du clinker, tout en améliorant les résistances mécaniques et en limitant les effets négatifs des CVSS sur la rhéologie [voir Figures 3 et 4].
IV – Actions à mener pour un passage à l’échelle industrielle
Une étude portant sur la régularité des caractéristiques physico-chimiques des CVSS est aujourd’hui en cours au LMDC. Elle constitue une étape incontournable pour envisager un passage à l’échelle industrielle et montrer la fiabilité des caractéristiques du produit final à commercialiser. La phase de test industriel, c’est-à-dire la fabrication à une grande échelle, de mélanges tests par un cimentier comme LafargeHolcim Réunion, sera ensuite à considérer, afin de valider les résultats obtenus avec les ciments de laboratoire. Une fois ces étapes franchies, il est prévu de soumettre un dossier technique avec l’accompagnement de l’Association technique de l’industrie des liants hydrauliques (Atilh), afin d’obtenir une dérogation de la norme sur les ciments tropicaux [NF P 15 302 (2006)] pour l’île de La Réunion…
Dr MoustaphaSow, Dr Julie Hot, Dr Christelle Tribout et Pr Martin Cyr
Laboratoire Matériaux et Durabilité des Constructions
1Compagnie industrielle des cendres et mâchefers (La Réunion).
2Albioma est une entreprise de production d’’énergie implantée dans l’outre-Mer français à l’île Maurice et au Brésil