Au sein du LMDC, à Toulouse, le projet “Liants Alcali-Activés (L2A)” a débuté en mai 2018 pour une durée de trois ans. Son objectif : mettre en commun des idées, des moyens et des compétences pour lever les verrous technologiques limitant l’utilisation industrielle de ces liants.
Article paru dans le n° 87 de Béton[s] le Magazine
Les liants alcali-activés (L2A) sont des matériaux formés à partir d’un précurseur (argiles calcinées, laitiers de hauts fourneaux, cendres volantes). Ceci, par réaction avec une solution d’activation alcaline, dont l’activant contient des ions sodium (Na+) ou potassium (K+), par exemple. Ces liants ne sont pas considérés comme hydrauliques, car l’eau seule ne suffit pas pour que le précurseur fasse prise. Il existe plusieurs systèmes d’activation, dont ceux aux carbonates (eau + Na2CO3) ou aux silicates (eau + Na2SiO3).
Ainsi, les liants alcali-activés sont des matériaux, dont la chimie, les mécanismes de prise et les comportements mécaniques finaux diffèrent de ceux des ciments Portland.
I – Pourquoi étudier les liants alcali-activés ?
A – Un projet d’actualité
Dans un contexte sociétal exigeant, les industriels du BTP cherchent à limiter leur impact environnemental par l’utilisation de ressources locales. Mais aussi de solutions industrielles plus performantes et/ou de liants alternatifs au ciment Portland, responsable de 5 à 7 % des rejets de CO2. D’où le lancement d’une chaire industrielle, appelée “Projet L2A”, disposant d’un budget de 1 M€ sur 3 ans. Son objectif principal est de développer des liants alternatifs aux ciments silico-calciques traditionnels.
Les attentes de ce projet sont doubles. D’une part, mettre au point de nouveaux matériaux avec de meilleures performances (propriétés mécaniques, durabilité). Notamment pour des environnements agressifs : acides/basiques, hautes températures ou radioactifs. D’autre part, participer à la décarbonatation du secteur du BTP. En ce sens, les L2A apparaissent comme une solution prometteuse. Dépourvus de clinker, ces liants peuvent être obtenus à partir de sous-produits industriels. Tels que les cendres volantes ou les laitiers de hauts fourneaux.
Les L2A peuvent aussi être formés à partir d’argiles calcinées à une température de 700/850 °C. Cette calcination est moins énergivore que pour la fabrication du clinker (1 450 °C). Et génère non pas du CO2,mais rejette de la vapeur d’eau.
B – De multiples défis à relever
Comme pour tout nouveau matériau, des verrous doivent être levés. D’un point de vue économique, les solutions doivent être viables. Ainsi, même si des sous-produits industriels sont utilisés, les L2A restent souvent plus chers à produire. Surtout à cause du système d’activation qui doit être utilisé. Les L2A peuvent néanmoins être compétitifs dans certains cas : situations où les formules nécessitent des ciments spéciaux ou des adjuvants. Par ailleurs, d’autres critères doivent être pris en compte dans l’évaluation du coût. Telles la facilité d’utilisation du produit, la durée de vie et la recyclabilité. En effet, diminuer le temps de mise en œuvre ou augmenter la durabilité du produit peut s’avérer intéressant au plan économique.
Les verrous techniques sont nombreux. Ils concernent les propriétés du matériau à différentes étapes de sa vie (état frais, état durci, durabilité…). A l’heure actuelle, la maîtrise de la rhéologie des L2A, paramètre clef pour les applications industrielles, est un verrou technologique majeur. Dans le cas des matériaux cimentaires, l’usage d’adjuvants est incontournable, afin de moduler les propriétés à l’état frais et durci. Cependant, ces adjuvants sont rarement compatibles avec les L2A.
Propriétés à long terme intéressantes
Par exemple, les matériaux formulés sur la base d’argiles calcinées activées avec des solutions de silicates (appelés géopolymères) sont très visqueux. Leur ouvrabilité est limitée et ils présentent un fort retrait. Les matériaux à base de laitiers activés aux silicates ou aux carbonates ont, quant à eux, un temps ouvert très court. Et un durcissement rapide ou lent selon le système d’activation. Face à ce constat, la détermination de couples adjuvant/liant alcali-activé efficace est primordiale.
Par ailleurs, peu d’études sur la durabilité des liants alcali-activés ont été menées. Bien souvent, les résultats sont pénalisants, carobtenus avec des méthodes conçues pour les matériaux cimentaires. Pourtant, les L2A présentent des propriétés à long terme intéressantes. C’est le cas des géopolymères, décrits dans la littérature comme des matériaux offrant une bonne tenue au feu. Mais aussi, résistant aux environnements agressifs (acide/basique) et à l’abrasion. Une évaluation plus approfondie des performances à long terme des mortiers et bétons de L2A est nécessaire avant toute utilisation industrielle importante.
II – En quoi consistent les travaux menés au LMDC ?
Des formules de L2A sont développées et évaluées pour plusieurs types d’applications distinctes, telles que les bétons structurels [Figures 1 et 2] et les revêtements techniques de protection [Figures 3].
Les études portent sur des formules de géopolymères et de laitiers activés aux carbonates ou aux silicates. Les actions menées vont de la formulation à l’évaluation du comportement à long terme. Afin de déterminer le potentiel des L2A en tant que bétons structurels, de nombreux tests sont réalisés : essais mécaniques sur des poutres de béton armé [Figure 1], essais de retrait et de fluage [Figure 2], mesures d’adhérence acier/béton et de dégagement de chaleur.
D’autre part, des bases (sans pigments) pour enduits et peintures en L2A sont formulées pour être appliquées en tant que revêtements techniques de protection [Figure 3]. Parmi les possibles applications, on peut citer les revêtements résistants aux environnements agressifs ou tels les revêtements anti-feu.
Enfin, la durabilité des L2A est étudiée de manière critique, c’est-à-dire en adaptant les tests usuels, si nécessaire. De nombreux essais sont réalisés. Tels que l’évaluation du comportement mécanique à long terme et/ou sous séchage. Mais aussi la résistance aux attaques acides et à la carbonatation, la réaction alcali-granulat (RAG), la corrosion des aciers…
III – Quel avenir pour ces nouveaux liants ?
Les laitiers activés aux carbonates ne sont pas des matériaux de construction nouveaux. Ils ont été beaucoup utilisés en Europe de l’Est, notamment en Union soviétique. D’un point de vue chimique, ils se rapprochent des ciments traditionnels, puisque les produits formés sont des hydrates de type C-S-H. Ils différèrent néanmoins des ciments Portland par leur cinétique de durcissement. En effet, leurs résistances mécaniques augmentent pendant plusieurs années [Figure 4]. L’avantage de ce type de liants est que l’activant (le carbonate de sodium) est peu coûteux, en comparaison aux silicates alcalins. Et que les volumes de laitiers disponibles permettraient de viser des applications à fort volume. Il s’agit du type de liants alcali-activés le moins onéreux. Il pourrait être envisagé dans la fabrication de bétons structurels.
Quelles applications ?
Les géopolymères et laitiers activés aux silicates alcalins sont d’un coût plus élevé en raison du prix de l’activant. Mais ils présentent des propriétés d’usage intéressantes. Ainsi, ils pourraient trouver leur utilité dans des applications de plus faibles volumes. A l’image des isolations thermique et acoustique, avec l’utilisation de granulats légers ou par l’obtention de mousses minérales. Ils pourraient aussi être employés pour des mortiers de réparation/scellement à prise rapide, des revêtements résistants à hautes températures. Ou encore des revêtements résistants aux environnements agressifs. Dans le domaine du nucléaire, les L2A sont aussi considérés pour la stabilisation des déchets radioactifs.
Au cours des trois dernières décennies, les recherches sur les L2A se sont multipliées en France et de par le monde. Plusieurs tests en conditions réelles ont été réalisés sur chantier, en Australie et en Chine. En France, en juillet 2019, les études menées dans le cadre du projet L2A ont permis de conforter l’utilisation d’une formule de béton. Celle-ci a été développée par Vinci Construction et Ecocem, dans la construction d’une partie du siège de Vinci, en Ile-de-France.
Mars 2020
Virginie Benavent, Julie Hot, Yoann Jainin, Hugo Lahalle, Cédric Patapy, Gabriel Samson, Vincent Trincal, sous la supervision de Martin Cyr
Laboratoire Matériaux et Durabilité des Constructions
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L2A : Qui fait quoi ?
Six entreprises se sont associées pour assurer le co-financement du projet “Liants Alcali-Activés (L2A)”, lancé au sein du Laboratoire Matériaux et Durabilité des Constructions (LMDC), à l’Insa de Toulouse : Argeco Développement, BASF France Division Construction Chemicals, Ecocem, Electricité de France (EDF), Vicat et Vinci Construction. Placée sous la supervision de Martin Cyr, l’équipe de recherche est composée de Virginie Benavent, Julie Hot, Yoann Jainin, Hugo Lahalle, Cédric Patapy, Gabriel Samson et Vincent Trincal. Pour en savoir plus : www-lmdc.insa-toulouse.fr
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