Tous ceux qui s’intéressent à l’architecture de près ou de loin connaissent Claude Parent.
Tous ceux qui s’intéressent à l’architecture de près ou de loin connaissent Claude Parent. Ses réalisations les plus réputées sont pour la plupart en béton brut, apparent à l’extérieur et à l’intérieur. Aujourd’hui, Claude Parent n’a pas de projet en cours, mais il continue à défendre l’architecture et les architectes dans ses écrits, dans des conférences et des dessins. A l’écouter, on découvre qu’il n’a rien perdu de son indépendance et de sa vivacité d’esprit.
- Béton[s] le Magazine : Plusieurs de vos premiers projets comme la maison d’André Bloc, à Antibes, ou le Pavillon de l’Iran à la Cité universitaire de Paris sont en acier. Ensuite, le béton s’est imposé comme votre matériau de prédilection. Comment expliquez-vous cette évolution ?
Claude Parent : A mes débuts avec Ionel Schein ou avec André Bloc, nous n’avions pas de préjugé sur les matériaux et nous nous intéressions à l’innovation technique en général, pourvu qu’elle serve l’architecture. Sur les projets que vous citez, ce sont des contraintes locales qui justifient le choix d’une structure métallique. Le sous-sol de la Cité universitaire était un vrai gruyère, avec deux étages de carrières. Il fallait descendre à – 24 m pour trouver un appui solide. Dans ces conditions, il fallait réduire le nombre d’appuis et la charge. Le métal s’est avéré la solution la mieux adaptée. Le bâtiment a été construit sans échafaudage, avec une grue et une grande perche pour élever les éléments préfabriqués qui étaient soudés sur place. De même, la maison Bloc, à Antibes, est posée au sommet d’une forte pente. L’assemblage des pièces préfabriquées a été assuré par un installateur de téléphérique qui connaissait bien les structures en acier.
Ensuite, ou parallèlement, au début des années 1960, j’ai rapidement adopté le béton, notamment pour les maisons à fonction oblique et pour le centre paroissial Sainte-Bernadette de Banlay à Nevers, conçu avec Paul Virilio, qui avait déjà commencé ses recherches sur les blockhaus. Une architecture en béton très particulière, mais encore présente en de nombreux sites en France.
- BLM : Vous n’avez jamais construit en bois. Que représentent donc le béton et l’acier pour vous ?
C.P. : Je suis engagé sentimentalement avec le béton. Je ressens profondément l’énergie, les vibrations qu’il dégage. Il s’agit de sentiments bruts pour un matériau brut. Les notions de masse et de continuité sont pour moi essentielles. Même avec des panneaux préfabriqués, on peut obtenir une certaine continuité en traitant bien les jonctions entre les composants. C’est la même chose dans une façade en pierre de taille : les blocs sont distincts, mais le mur constitue une paroi unitaire. Dans les centres commerciaux comme l’hypermarché de Reims-Thinqueux, j’ai voulu cette lourdeur des masses, leur violence expressive, la rudesse du béton brut, sans peinture et sans enduit. Ce caractère, en opposition avec l’esthétique du hangar léger, habituelle dans ce type de programme, évite aux volumes architecturaux d’être “dévorés visuellement” par les automobiles. Surtout, il leur évite d’être “détruits” par les produits exposés. L’architecture doit encadrer le produit, le dominer, être toujours lisible pour le visiteur.
Travailler avec le métal est pour moi plus difficile. Le rapport avec l’acier est plus cérébral et je ne recherche pas spécialement la légèreté qui amène parfois à la pacotille. En fait, le métal me plaît dans l’expressionnisme de la structure. D’ailleurs, la macro structure de la Maison de l’Iran, avec ses portiques noirs et ses planchers suspendus, agit dans l’expression de la masse et non dans celle d’une trame minimaliste. Plus récemment, pour le théâtre Sylvia Monfort, l’idée était de créer un chapiteau en dur. J’ai refusé la préciosité d’une tôle sophistiquée et recherché la continuité d’une enveloppe en simple tôle galvanisée. J’aurais quand même préféré une coque en béton, plus épaisse et plus solide.
Je ne comprends pas ceux qui ressentent le béton comme oppressant. Pour moi, la lecture directe de la matière, avec les traces parfois à peine visibles du coffrage, est un vrai bonheur. Je sais que pour certains théoriciens de la modernité, mes idées sont archaïques, mais les constructions légères, démontables, provisoires ne m’intéressent pas.
- BLM : Comment ont été accueillies ces architectures en rupture avec ce qui se construisait alors ?
C.P. : Heureusement que mes clients étaient motivés et qu’ils me faisaient confiance parce que toute ma vie, j’ai été confronté à des refus de permis de construire et j’ai rencontré des difficultés pour obtenir un certificat de conformité. Il y a eu une sorte de trou noir dans les années 1980, quand le béton brut apparent était quasiment interdit en ville. J’ai eu les pires difficultés pour construire un troisième immeuble de logement à Neuilly-sur-Seine. Il a fallu en référer au préfet pour avoir un certificat de conformité. Pourtant, pour une unique exception, j’avais accepté d’estomper un peu la présence des voiles de béton en façade par des parements en pierre. Les refus de permis de construire relèvent parfois de l’absurde : j’en ai essuyé un pour une extension au motif d’une incompréhension de l’architecture de la maison dont… j’étais moi-même le concepteur avec Ionel Schein. Du reste, le béton n’est pas seul en cause et nous n’avons jamais reçu un certificat de conformité pour la maison Bloc à Antibes.
- BLM : Comment étaient construits vos projets et comment ont-ils vieilli ?
C.P. : J’ai toujours mis la priorité et l’argent dans la structure. Et puis, j’aime le chantier. J’y puise ma force, mon énergie. Si les fers sont bien enveloppés, il n’y a pas de problème. Le béton ne m’a jamais trahi. Je préfère le coulé en place, mis en œuvre avec des aiguilles manuelles. Par contre, je n’ai eu que des “emmerdes” avec les tables vibrantes électriques utilisées pour la préfabrication des panneaux de l’usine Alstom à Vélizy-Villacoublay. Les vibrations ont provoqué des mouvements gênants de la matière. Je ne recherche pas la perfection d’un béton bien lisse. J’aime au contraire les reliefs marqués, les traces d’imperfection éventuelle d’un coffrage en planches, par exemple. Dans un bâtiment en béton apparent, j’aime que l’on perçoive en même temps l’idée de l’architecte et la mémoire du geste, de la main de l’ouvrier.
Sur les centres commerciaux, j’ai dessiné des sortes de clins inclinés qui prennent la lumière et qui rejettent l’eau. Depuis hélas, les enseignes successives les ont parfois bariolés de peinture. Celui de Sens a été rose pendant un moment et Leclerc avait blanchi celui de Châtenay-Malabry.
Il faut quand même expliquer aux maîtres d’ouvrages qu’un bâtiment doit être entretenu. Ici, dans cet immeuble construit dans les années 1970, il a suffi de réparer un pied de voile et d’appliquer une lasure transparente pour retrouver l’aspect du neuf. Cela a coûté cher, mais l’entreprise a fait un beau travail. Dans tous mes bâtiments en béton, même quarante ans après leur construction, je ressens toujours cette force qui m’irradie. Je crois que les risques sont maintenant bien identifiés et bien maîtrisés.
En réalité, ce qui vieillit le plus vite, ce sont les règlements ! Ainsi, les allèges de la Maison de l’Iran sont en amiante ciment, un matériau maintenant interdit. Ce bâtiment a failli être démoli pour non-conformité et pour doubler sa surface utile et le nombre de chambres. Finalement, après moult péripéties, les façades vont être réhabilitées à l’identique. Ironie de l’histoire, les nouveaux panneaux vont être fabriqués par Eternit, la même société qui les avait fournis il y a quarante ans.
- BLM : Suivez-vous les innovations techniques, les Béfup et autres Bap ?
C.P. : Oui, je suis de près les recherches sur les nouveaux bétons. J’assiste à des conférences, je lis des articles, mais cela ne me concerne pas directement. Je ne suis pas très emballé par le Ductal® par exemple, qui pour moi est autre chose que le béton avec lequel j’ai aimé travailler.
- BLM : Pourriez-vous encore construire en béton aujourd’hui ?
C.P. : J’en doute parce qu’il y a deux choses que je n’aime pas : l’isolation par l’extérieur et les doublages intérieurs qui sonnent creux. Je veux que le béton soit visible pour que son énergie rayonne. Avec les impératifs énergétiques, les problèmes d’environnement, tout est plus compliqué. On ne pourrait plus aujourd’hui réaliser une façade intégralement en verre, avec de fines menuiseries en acier, qui s’intercalent parfaitement entre deux voiles de béton brut apparent.
Propos recueillis par Jean-Pierre Ménard
Quelques dates
- 1923 : Naissance à Neuilly-sur-Seine
- 1941-1943 : Etudes de mathématiques supérieures (préparation Ecole Polytechnique)
- 1943 : Admission à l’Ecole des Beaux-Arts de Toulouse en atelier d’architecture
- 1946 : Admission à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris – Section architecture / Stage de deux ans aux Monuments historiques
- 1949 : Rencontre avec Ionel Schein également étudiant. Début d’une collaboration étroite jusqu’en 1955
- 1953 : Ouverture du cabinet Parent-Schein / Premier prix du concours de la revue “La Maison française” et réalisation de la maison Gosselin à Ville-d’Avray (avec Ionel Schein et Gilles-Louis Bureau)
- 1956 : Ouvre sa propre agence
- 1963 : S’installe à Neuilly-sur-Seine / Abandonne les Beaux-Arts où il était toujours inscrit comme étudiant dans l’atelier de Remondet
- 1966 : Publication avec Paul Virilio de la revue “Architecture Principe” / Inscription à l’Ordre des architectes
- 1970 : Publication du livre “Vivre à l’oblique”
- 1974 : Aménagement de son appartement à Neuilly selon les principes de l’oblique / EDF lui confie une première recherche sur les centrales nucléaires
- 1975 : Publication du livre “Claude Parent architecte” chez Robert Laffont
- 1979 : Grand Prix national d’architecture
- 1981 : Publie “Les entrelacs de l’oblique” aux éditions du Moniteur
- 1982 : Démissionne du Conseil de l’Ordre national des architectes / Publie aux éditions Casterman le livre “L’architecte, bouffon social”.
Réalisations majeures
- 1952 : Habitation Nicole Parent à Neuilly-sur-Seine
- 1953 : Habitation Gosselin, à Ville-d’Avray (avec Ionel Schein)
- 1959 : Maison d’André Bloc, à Antibes (classée MH) / Petite maison d’André Bloc, à Meudon (classée MH) / Centre commercial de Reims Tinqueux (1re tranche)
- 1963 : Maison Bordeaux-le-Pecq, à Bois-le-Roi
- 1963 – 1965 : Maison Drusch, à Versailles
- 1963 – 1966 : Centre paroissial Sainte-Bernadette du Banlay, à Nevers, en collaboration avec Paul Virilio (classé MH)
- 1968 : Maison de l’Iran dans la Cité universitaire à Paris (conçue avec André Bloc et les architectes iraniens Foroughi et Ghiai). Classement MH en cours / Immeuble de la Sécurité sociale, rue de la Mouzaia, à Paris 19e (en collaboration avec A. Remondet
- 1977 : Lycée polyvalent René Cassin, à Arpajon (avec S. Malissan)
- 1978 : Centrale nucléaire de Cattenom (Moselle)
- 1980 : Maison Michel et Laure Carrade, au Puech (inventaire MH)
- 1981 : “Fabrique” au château de Maucreux (Aisne)
- 1982 : Centrale nucléaire de Chooz (près de Charleville)
- 1988 : Théâtre Sylvia Monfort, à Paris
- 1991 – 1994 : Lieu de formation d’entreprises à Roissy-en-France, pour ADP
- 1993 – 1998 : Hôtel de Ville de Lillebonne
- 1994 – 1998 : Ensemble de bureaux Cap Ampère pour EDF, à Saint-Denis (93)
- 2005 : Elu membre de l’Institut à l’Académie des Beaux-Arts.