Architecte et ingénieur, Rudy Ricciotti signe aujourd’hui une tribune pour dénoncer l’attentisme des collectivités territoriales, sous couvert de Covid-19.
« La santé est prioritaire sur l’économie, il n’y a pas débat. Il n’est cependant pas utile d’accumuler les difficultés existentielles par égoïsme, imprudence ou indifférence. Alors que la profession d’architecte et d’ingénieur (environ 150 000 personnes en étude) dans les domaines du BTP s’est organisée, à la demande de l’Etat pour défendre l’activité par télétravail et donc défendre par anticipation l’économie des futurs chantiers du bâtiment et des travaux publics, il est stupéfiant de voir la maîtrise d’ouvrage publique tout stopper comme s’il y avait un lien entre notre activité et celle du Covid-19 », indique l’architecte et ingénieur Rudy Ricciotti. Et de poursuivre : « En effet, le report systématique des candidatures aux appels d’offres, des remises d’offres finales et des consultations publiques de concours d’architecture est-il légitime ?
L’instruction des permis de construire est pétrifiée
Les collectivités territoriales font office d’exemple en matière d’anti-synergie de ce point de vue, tandis que le ministère du Travail demande, exige, que les chantiers reprennent, en incluant tous les acteurs associés.
Il faut bien entendre que tout ce qui fabrique en amont la future commande est stoppé ! Et pour être certain de faire perdurer efficacement les dégâts économiques, l’instruction des permis de construire est pétrifiée pour plusieurs mois. De sorte que la maîtrise d’ouvrage privée est elle-aussi paralysée. Qui, suffisamment sensible, arrivera à imaginer les conséquences structurelles sur l’économie du BTP par l’arrêt en amont des études réalisées par les architectes et ingénieurs ? Nous ne nous plaignons pas. Nous voulons travailler, mais pourquoi ce coup de poignard dans le dos ? Sommes-nous obligés d’être en retraite ou en congés par anticipation ? Y a-t-il une France à deux vitesses ? Celle qui ne souffre pas de ne pas travailler, car garantie de son salaire à vie, et l’autre dont le salaire n’est pas garanti et déjà stoppé.
Un hommage à nos héros
J’ai choisi pour mes collaborateurs et par patriotisme de refuser au maximum le chômage partiel et d’organiser le télétravail avec son cortège de difficultés technologiques et de perte d’efficacité. Je l’ai choisi comme acte de résistance pour combattre la fatalité et parce que j’aime mon pays. Mais ce mauvais coup porté à nos professions aura des conséquences inchiffrables, car nous sommes à l’origine du calendrier du déclenchement opérationnel des ouvrages. C’est donc déjà plusieurs mois d’arrêt total. Mais dans l’attente, plus de la moitié des architectes à l’économie fragile, courant après les honoraires, iront au tapis. Bravo ! Quelle indifférence des collectivités territoriales à notre égard et quel coup porté à la Nation dont nous sommes aussi. Quel encouragement à abuser du chômage partiel, pour les autres métiers où la trésorerie capitalistique permet de rester en planque plusieurs mois et de faire porter, avantage cynique, les salaires par l’Etat !
Hommage à nos héros, ceux de la santé, armée, police, transports, enseignants, et aussi paysans, artisans de première nécessité, dont personne ne se demande s’ils peuvent travailler… »
Le Club des juristes
Rudy Ricciotti est ingénieur et architecte. Il a obtenu nombre de distinctions : Grand Prix national d’architecture, Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres, Médaille d’Or de l’Académie d’architecture. Membre de l’Académie des technologies, il est l’architecte du Mucem, à Marseille, du Pavillon Noir, à Aix-en-Provence. Mais aussi, du Département des arts de l’islam du musée du Louvre, à Paris, et de la Passerelle de la paix à Séoul, en Corée du Sud. Rudy Ricciotti est également l’auteur de plusieurs essais et manifestes, dont “L’architecture est un sport de combat” et “L’exil de la beauté”, parus aux éditions Textuel.
La présente tribune est parue en premier lieu sur le blog du Club des juristes, premier think tank juridique en France. Ce dernier mobilise experts et personnalités pour éclairer la crise du Coronavirus sous le prisme du droit. Témoignages d’acteurs de premier plan, décryptages des problèmes juridiques soulevés par la situation inédite que nous vivons. Mais aussi tribunes et analyses prospectives, pour nourrir le débat et dégager des leçons pour demain y sont autant de thèmes abordés.