Un premier test de la fusée StarShip de SpaceX a provoqué d’énormes dégâts sur son pas de tir. Pour comprendre pourquoi, comparons la conception et les matériaux de la StarBase au site de lancement d’Ariane 6, à Kourou.
Article paru dans Béton[s] le Magazine n° 109.
Etre journaliste, c’est se poser des questions sur d’innombrables évènements. Et chercher les réponses qui vont avec. Fin avril 2023, alors que SpaceX a dû faire exploser sa fusée Starship au bout de 4 mn de vol, la planète s’est demandée quelle défaillance touchait la création d’Elon Musk ? Nous nous sommes demandés pourquoi son pas de tir avait littéralement volé en éclats.
S’ouvrait alors une longue plongée dans l’univers de la conception et de la fabrication des fusées, en particulier celles de SpaceX. Une valse en solo cependant, puisque SpaceX n’étant pas l’agence spatiale d’un pays, mais une entreprise privée, rien ne l’oblige à communiquer. Aussi SpaceX communique donc très peu. Et encore moins sur ses ratés…
Une pluie de débris de béton
Comment, alors, comprendre pourquoi une dalle de béton a pu être éparpillée sur des centaines de mètres ? Ceci, en marchant dans les pas de la communauté planétaire qui suit les actualités de SpaceX, par le biais du rétro-engineering.
Des centaines de milliers de personnes passent la plus claire partie de leur temps à analyser photos, vidéos et prises de paroles pour comprendre les choix, les évolutions et les réussites de SpaceX. Dans la communauté française, PH, auteur de la chaîne YouTube StarBaseFR, est parmi les plus suivis et les plus prolifiques.
« Pour comprendre cet évènement, il faut comprendre comment fonctionne SpaceX. L’objectif est d’industrialiser les vols spatiaux, en lançant jusqu’à trois fusées par jour. Ceci, pour mettre en orbite des satellites, s’installer sur la Lune, puis sur Mars. SpaceX cherche à rationaliser la construction et les vols des fusées. Avec des navettes qui atterrissent et qui repartent, des chaînes de montage de fusées et des pas de tirs réutilisables chaque jour. Le tout, en réduisant les coûts finaux. Pour cela, contrairement à des programmes financés par de l’argent public, SpaceX se permet de tester des prototypes. Sans trop de conséquences s’ils explosent. Le pas de tir qui se désintègre, ce n’est qu’une étape dans la conception du pas de tir optimal… »
Plusieurs bétons testés
En effet, le pas de tir SpaceX de Boca Chica, au Texas, qui est parti en morceaux un matin d’avril, est en perpétuelle évolution. Ainsi, après un premier test d’allumage des moteurs du Starship, le béton avait déjà montré des signes inquiétants. Un nouveau pas de tir était alors sorti de terre. Le béton dit “Martyte”, chargé en céramique et en époxy durci aux amines, développé par l’entreprise Martin Marietta pour la Nasa. Qui recouvrait jusque-là la face exposée du pas de tir, est alors remplacé par le béton Fondag d’Imerys Aluminates.
Lire aussi : Femern Link : Rapprocher Hambourg de Copenhague
.
.
Une formulation à base d’aluminates de calcium. C’est lui que l’on retrouvera en petits morceaux, éparpillé façon puzzle, tout autour du site de lancement. Ce béton n’est cependant pas en cause. Pour le comprendre, déplaçons-nous quelque 2 600 km plus au Sud, à Kourou, en Guyane. Là, le consortium Eclair 6, mené par Eiffage Génie Civil, a construit le pas de tir d’Ariane 6. En effet, le lanceur européen change de génération de fusée, avec un premier vol prévu pour 2024, afin de concurrencer notamment… SpaceX. Un pas de tir nouvelle génération, baptisé Ela 4, a ainsi été construit entre 2016 et 2020.
Une conception traditionnelle qui a fait ses preuves
« Au décollage d’une fusée, le massif de lancements subit plusieurs types d’agressions, explique François Senger, ingénieur-conseil qui a travaillé sur la formulation des bétons. Il y a d’abord la chaleur, qui atteint en théorie 3 000 °C, mais qui est abaissé à 1 000 °C par le déluge d’eau de 800 m3 libérés en quelques secondes. Il y a ensuite une onde acoustique, conséquence de la poussée des moteurs. Et enfin, une agression à la fois acide des eaux, avec un pH 1, et abrasive, puisque les gaz d’échappement sont chargés en alumine. »
Ces différentes problématiques sont résolues à la fois par la conception architecturale et la formulation du béton. Ainsi, le massif est installé 30 m sous le niveau du sol, dans une roche granitique. Il dispose de deux carneaux, c’est-à-dire de tunnels de 170 m x 20 m x 20 m, présentant une pente de 38 % par rapport à l’horizontale. Ce qui permet de “guider” l’onde sonore et les gaz des deux côtés du massif. Les murs sont épais de 1,20 m et armés avec une densité d’acier de 400 kg/m3. Soit l’équivalent du cœur d’une centrale nucléaire. Une surépaisseur de 15 cm de béton, légèrement armée, sert de couche sacrificielle. Le sablage intensif de l’alumine érode cette partie qui est rechapée tous les trente tirs.
Un béton spécifique
Côté béton, quatre formulations ont permis de réaliser l’ensemble du chantier de 60 000 m3 de béton de Kourou. Pour 30 000 m3, soit la partie destinée à résister aux lancements, un béton C40/50 d’une classe d’exposition XA3, a été produit par le cimentier et bétonnier Argos de Cayenne, grâce à un dispositif dédié. Il intègre un ciment CEM I 42,5 N SR3 PM, auquel ont été ajoutées des fibres polypropylène Fibrin 1950 D de Chryso. Ces dernières fondent sous l’effet de la chaleur. Ce qui crée un réseau de micro-cavités permettant à l’eau de s’évaporer. Et de ne pas créer des fissurations par surpression.
« Outre la Fibrin 1950 D, nous avons fourni le superplastifiant Chryso Fluid Optima 24, explique Jean-Michel Bradu, conseiller technique export de la marque. Et pour des remblais, notre solution Chryso Remblai Dose a aussi été utilisée. Notre expertise a permis de formuler les bétons avec des matériaux locaux, ce qui réduisait les coûts et le temps. » Pour le coulage, un outil de coffrage sur mesure a été conçu. D’une masse de 46 t, il couvrait 200 m2 de surface. Ainsi, chaque radier était coulé en dix phases de 7,70 m de longueur. Les dalles supérieures ont pu être réalisées grâce à deux tables coffrantes à peau métallique montées sur vérins. Enfin, les voiles ont bénéficié de deux coffrages grimpants permettant de mettre en œuvre le béton sur 5,80 m de hauteur. Et 12 m de longueur à chaque phase.
Un test “peu” concluant
Autant d’équipements que ne possédait pas la StarBase au moment du lancement du Starship. Car l’élément central de la conception de SpaceX est le Mechazilla, une tour d’acier de 145 m armées de deux bras qui doivent “attraper” le booster SuperHeavy au moment de son atterrissage. Le secret de la rentabilité de SpaceX réside dans cet élément et des moteurs réutilisables. Ces derniers se détachent des fusées, redescendent sur le plancher des vaches, sont attrapés par le Mechazilla. Remis en place, ils peuvent repartir une fois le plein réalisé. Ceci, jusqu’à trois fois par jour.
Pour cela, la fusée est installée sur la table orbitale – un anneau d’acier supporté par quatre pieds à 40 m du sol – , qui repose sur une dalle de béton. Celle-là même qui a été désintégrée. Et pour répondre à la question initiale, la cause en est connue. Sans carneaux pour canaliser, toute la puissance de poussée des 33 moteurs Raptors qui composent le booster SuperHeavy est venue percuter la dalle de béton. Qui repose, par ailleurs, sur les sols sablonneux du Texas. Une poussée de 74 400 kN, soit la puissance moteur la plus importante jamais conçue par l’homme. La dalle s’est alors déformée, puis fissurée. Des fissures dans lesquelles se sont engouffrés les gaz. Qui ont soulevé et réduit à l’état de projectiles la dalle en béton dans son ensemble…
Nouvelle technologie
« Dès les premières données collectées, les ingénieurs de SpaceX se sont mis au travail pour faire évoluer le pas de tir, explique PH sur sa la chaîne StarBaseFR. Leur propre interprétation du déluge n’était pas prête au moment du test. Ils pensaient que le béton seul suffirait pour ce lancement. » Visiblement, non ! Le déluge façon SpaceX s’est traduit par une plaque d’acier posée sous la table orbitale. Percée de milliers de trous destinés à libérer l’eau pressurisée. Un déluge du bas vers le haut qui devait donc protéger l’installation. En revanche, toujours pas de carneaux. Tout autour de la plaque, une nouvelle dalle de béton a été coulée. Environ 3 400 m3 de béton Fondag, mis en œuvre en plein été. Le béton ne devrait donc plus être en contact direct avec la puissance des moteurs.
Lire aussi : Une nouvelle aérogare pour Roland Garros à La Réunion
.
.
Une évolution qui a porté ses fruits, puisque le samedi 18 novembre, un nouveau Starship s’est arraché du plancher des vaches, grâce à la propulsion de ses 33 moteurs Raptor. Et si le test s’est conclu par l’auto-destruction du vaisseau, le pas de tir a tenu le choc. Rapprochant un peu plus SpaceX des plaines de la Lune et de Mars.