Située place des Abbesses, dans la XVIIIe arrondissement de Paris, l’église Saint-Jean-de-Montmartre a été réalisée par l’architecte Anatole de Baudot qui a innové avec le ciment armé. Tout à la fois ossature et enveloppe, ce matériau lui a permis une souplesse de création beaucoup plus importante que la pierre.
C’est sur la butte Montmartre que le ciment armé apparaît pour la première fois au grand jour dans l’art sacré. Cette première église, revêtue de briques et de céramiques, est influencée par le style Art Nouveau.
En 1892, l’abbé Sobeaux, curé de Saint-Pierre-de-Montmartre, achète la parcelle sur laquelle va être édifiée la future église. Ce terrain en pente mesure un peu plus de 44 m de long sur 20 m de large. Les contraintes budgétaires sont fortes.
Le “système Cottencin”
C’est Anatole de Baudot qui répond à la commande et innove avec le ciment armé. L’avantage de ce matériau ? Son coût. L’architecte [abonnés] utilise la technique brevetée par l’ingénieur Paul Cottancin, qui permet des structures portantes très légères pour une importante surface couverte. Le “système Cottancin” confère à l’édifice un caractère quasi monolithique. Les piles et les arcs sont formés de briques creuses dans lesquelles est coulé le ciment renforcé d’armatures métalliques. Les parties horizontales sont constituées, quant à elles, de maille de tiges de fer et de ciment. Les voûtes sont formées de deux coupoles emboîtées en ciment armé de 7 cm d’épaisseur. Le vide ménagé entre les deux est rempli d’un mélange de liège et de mâchefer destiné à réaliser une isolation thermique et phonique. La partie inférieure, visible de l’intérieur de l’édifice est enduite de plâtre pour recevoir une décoration, tandis que la partie extérieure de la coupole sert de couverture. Ces grandes coupoles en ciment armé ont fini au cours des ans par manquer d’étanchéité. Il y a plus de 10 ans, elles ont été recouvertes de feuilles de cuivre. Le système d’accrochage par ligature des différents éléments métalliques de la structure (piliers, voûtes, dalle, murs extérieurs, fenêtres) les rend solidaires entre eux.
Réprobation générale
La construction, qui débuta en août 1897, est un vrai feuilleton. Certains prédirent l’effondrement prochain de l’édifice. De 1898 à 1902, se succèdent des interruptions de chantier, un procès est intenté pour non-conformité avec les règles d’urbanisme à cause des planchers de 7 cm d’épaisseur et des piliers de 50 cm de diamètre seulement pour 25 m de hauteur. Une ordonnance de démolition survient en 1900, mais elle ne sera pas exécutée. Les travaux reprennent en 1902 après le désistement de l’action judiciaire et l’autorisation de construire un clocher. Cependant, il y aura de nouvelles hésitations à la fin de la construction de l’église : la nécessité de l’alignement contraint l’architecte à revoir ses plans et à tronquer la tour d’entrée et à en diviser la largeur en deux.
La construction de l’église provoqua une réprobation générale malgré le prestige de son architecte. Cette première église en ciment armé est un évènement discret. Elle débute la longue carrière de ce matériau, dont on était loin de mesurer la portée en ce début de XXe siècle.[abonnés/]
Muriel Carbonnet