Avec le contexte actuel, la situation de la Filière Béton est assez complexe. Point d’étape avec Philippe Gruat, son président.
Avec la pandémie, l’année 2020 a été plus que particulière. Comment la Filière Béton a-t-elle traversé cette période ?
Il y a eu une très forte baisse de l’activité durant le premier confinement. Mais toutes les industries de la filière ne se sont pas arrêtées. Les carrières et les cimenteries ont continué à tourner. Quant aux établissements de transformation – à savoir les unités de production de BPE et les industriels de la préfabrication -, leur activité dépendait du nombre de personnes disponibles et des niveaux d’automatisation… Toutefois, il y a eu une demande continue de la part de nos clients dès le début du confinement. A l’issue de cette période, nous avons constaté un très fort rattrapage – supérieur aux pronostics les plus optimistes – durant toute la saison estivale ! Cela nous a permis de compenser une partie du retard. Toutefois, le mois d’octobre a marqué le pas. Sans doute lié aux inquiétudes de la seconde vague et aux incertitudes opérationnelles consécutives à des carnets de commandes assez faibles.
Le gouvernement a annoncé un vaste plan de relance, dont le BTP devrait largement profiter. L’année 2021 devrait donc être bonne, malgré une situation sanitaire qui perdure ?
Ce vaste plan est bienvenu, même si c’est la rénovation énergétique qui profite de l’essentiel. Nous ne critiquerons pas cette initiative, Toutefois, nous déplorons que la construction neuve et les travaux publics soient négligés dans ce plan, sachant que le besoin en logements est toujours là. Pourtant, notre offre correspond très bien aux nécessités de densification des villes.
Dans ce contexte, la Filière est plutôt pessimiste quant à l’activité sur l’année 2021. Elle s’annonce difficile, sans doute très en retrait, par rapport à 2019, du fait de l’absence d’une volonté politique de faire bouger les lignes, en matière de construction neuve.
De plus, le décalage des élections et l’entrée tardive en fonction des nouvelles équipes municipales ont provoqué un trou d’air dans l’activité. A quoi s’ajoute l’arrêt ou la remise en cause pour réexamens de certains projets par les nouveaux élus. Ce qui n’augure rien de bon pour l’avenir…
D’une manière globale, que représente la Filière Béton aujourd’hui en France et comment se porte-t-elle dans ce contexte sanitaire particulier ?
Le chiffre d’affaires annuel de la Filière Béton dans son ensemble représente un montant de 12 Md€ environ. La Filière compte quelque 67 000 emplois directs, répartis sur 4 400 sites de production en France. Et est à l’origine de 200 000 emplois indirects…
Concernant la période actuelle, on ne devrait pas s’en réjouir, mais l’année 2020 pour la Filière Béton devrait s’achever entre – 5 et – 10 %, comparé à 2019. Compte tenu de la situation actuelle, on s’en sort plutôt bien, même si nombre d’industriels ont été touchés par cette crise. Le chômage partiel a permis de plus ou moins bien amortir les choses…
Pour 2021, le carnet de commandes des entreprises du BTP nous inquiète beaucoup. Le programme de construction de logements neufs comme de bureaux n’est pas vraiment au rendez-vous. Les travaux publics sont en retrait, situation aggravée par la remise en cause ou le report de certaines opérations du fait de l’arrivée de nouveaux élus à la tête des communes,. Enfin, la crise sanitaire continue à être présente, sans visibilité réelle quant à sa disparition.
Dans ce contexte, l’année 2021 s’annonce pour la profession sans doute en retrait par rapport aux résultats de 2019, voire même un cran en dessous de 2020 !
La RE 2020 se pointe à l’horizon… Comment la Filière Béton se prépare-t-elle à ce changement majeur de la réglementation ?
Nous nous préparions à cette évolution, via l’expérimentation E+C–, dont nous étions des acteurs motivés ! Mais l’introduction de la nouvelle méthode de calcul de l’empreinte carbone – à savoir l’Analyse de cycle de vie dynamique simplifiée – est catastrophique. Nous partageons l’objectif de réduction des gaz à effet de serre, mais pas le chemin pour y parvenir… Nous ne voulons tout simplement pas d’une méthode de calcul, ne reposant sur aucun fondement scientifique et qui va créer une véritable distorsion de concurrence entre les matériaux de construction. Même le Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique est contre la nouvelle approche dynamique, à l’unanimité !
L’ACV dynamique simplifiée pénalise les matériaux qui libèrent l’essentiel de leurs émissions de carbone au début de leur cycle de vie. On parle de l’acier, du béton, de la terre cuite, de la laine de verre ou de roche, pour ne citer qu’eux. A vrai dire, la presque totalité des matériaux couramment utilisés dans la construction. Cela reste une vision “court-termiste” et contraire au principe d’économie circulaire. C’est ignorer que le béton capte du CO2 tout au long de sa vie en œuvre et même après la démolition. Sans compter qu’il se recycle très bien et en totalité.
En parallèle, l’ACV dynamique simplifiée minore les émissions futures, c’est-à-dire celles qui interviendront en fin de cycle. Après 100 ans pour certains construction, donc au-delà de la limite retenue pour calculer les émissions d’un bâtiment. Une manière de considérer que le CO2 et les autres gaz à effet de serre captés au départ ne seront jamais restitués. Effacés d’un coup de baguette magique ! Comme si le défi climatique s’arrêtait au bout d’un siècle.
De plus, les matériaux biosourcés, dont parlent le gouvernement ne sont pas ou peu disponibles en France. Ni les forêts, ni les productions agricoles ne sont en mesure de modifier rapidement leur modèle économique pour répondre aux besoins de la construction dans son ensemble. Il faut 30 ans pour créer une forêt dédiée, bien entendu, au mépris de toute biodiversité, car réalisée dans le cadre d’une monoculture intensive. Une usine à arbres, en quelque sorte !
Quant aux industries de transformation, elles n’existent pas en nombre suffisant. Idem pour les entreprises de mise en œuvre. Et nous ne sommes pas certains que les maîtres d’ouvrage soient prêts à construire en biosourcé. Puis, d’assurer l’entretien que cela induit.
La Filière Béton propose plutôt une approche multi-critères sur la base du label E+C–, avec un objectif de neutralité carbone à 2050. Donc en poursuivant selon un calendrier annoncé et établi. Et en s’appuyant sur des méthodes de calculs partagés par tous. Il faut rappeler qu’une telle démarche oblige à des investissements très lourds pour les industriels du ciment. La confiance est donc nécessaire. Nous sommes tous prêts à nous battre pour réduire l’impact carbone de nos industriels, mais pas du jour au lendemain.
Le bon matériau au bon endroit doit rester la règle de base. Déclencher une guerre entre matériaux est quelque chose de totalement idiot. Et quel intérêt de détruire une filière bien établie ? Surtout en cette période de crise…
La baisse du bilan carbone des produits de la construction reste donc un passage obligé ?
Nous partageons à 100 % cet objectif. Il existe beaucoup de chemins pour y parvenir. Mais les choses ne doivent pas être faites n’importe comment. La bonne manière de faire demande un plan d’action, du temps et des investissements. Par exemple, le captage du CO2 parle béton, développé dans le cadre du projet FastCarb, est une réalité. De même, les actions réalisées par les industriels du ciment “vert” sont intelligentes. Valoriser et utiliser des co-produits en économie circulaire ne peuvent être qu’encouragés.
La Filière Béton en bref
La Filière Béton rassemble tous les acteurs de ce secteur d’activité, de l’extraction des matières premières jusqu’aux produits finaux. Ainsi, elle réunit la Fédération de l’industrie du béton (Fib), le Syndicat français de l’industrie cimentière (Sfic), le Syndicat national du béton prêt à l’emploi (SNBPE), l’Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction (Unicem) et l’Union nationale des producteurs des granulats (UNPG). Ces syndicats se sont mis en ordre de marche pour proposer d’une seule et même voix les solutions à même de relever les défis et des enjeux en matière de construction.