Aux tréfonds de la jungle tropicale mexicaine, le mécène anglais Edward James a réalisé plusieurs constructions et sculptures inspirées par la végétation locale et par le mouvement surréaliste : Las Pozas.
Situé dans le Sud-Est de l’Etat mexicain de San Luis Potosí, à 1 km au Nord de la commune de Xilitla, dans la forêt tropicale, le jardin de Las Pozas s’étend sur plus de 32 ha.
Au beau milieu d’une végétation luxuriante, il comprend un réseau de cascades naturelles et de bassins qui ont donné leur nom au site. Rien de bien extraordinaire. Mais c’était sans compter sur la présence saugrenue, d’un ensemble en béton, composé de 36 folies, sculptures, constructions, piliers solitaires, rampes, escaliers…
Un véritable Eden surréaliste parsemé de sentiers sinueux et de passerelles étroites. Mais à qui doit-on cela ? C’est l’œuvre de l’excentrique Sir Edward James (1907-1984) qui rêvait d’autre chose que d’Angleterre ou d’Etats-Unis. De non-conformisme, de surréalisme et qui avait la fortune pour réaliser un tel dessein entre 1962 et 1984. Un parc aux merveilles allait apparaître tout au long de cette période. Et le béton, matériau de prédilection du site, allait faire naître un monde étrange.
L’énigmatique James
Edward James est surtout connu pour avoir été un amateur et un mécène précoce du mouvement surréaliste. Il tourne ainsi le dos aux cercles aristocratiques rigides de l’Angleterre édouardienne et se lie d’amitié avec des artistes qui deviendront des noms familiers dans les années ultérieures. James sponsorise Salvador Dali. Il est également peint par Magritte. En plus de ces deux artistes, sa collection inclut, entre autres, des œuvres de Jérôme Bosch, Giorgio Di Chirico, Paul Klee, Pablo Picasso, Alberto Giacometti, Max Ernst… Edward James rénove sa demeure de Monkton Hall (Kent), dans le style surréaliste en collaboration avec Syrie Maugham, pionnier de ce mouvement au Royaume-Uni. Son but était d’apporter le merveilleux dans sa vie quotidienne.
Rendez-vous au Mexique
Au début des années 1940 après un divorce douloureux, Edward James s’installe aux Etats-Unis. Il « désire créer un Jardin d’Eden » et se rend compte « que le Mexique est nettement plus romantique » et dispose « bien plus de place qu’il n’y en a dans le Sud surpeuplé de la Californie ». A Hollywood en 1941, son amie et cousine, la peintre Bridget Bate Tichenor, l’encourage à chercher un lieu “surréaliste” au Mexique. A Cuernavaca, il engage Plutarco Gastélum Esquer, un indien yaqui, comme guide. Ils découvrent Xilitla en novembre 1945.
En 1947, Edward James acquiert une plantation de café au lieu-dit “Las Pozas”. Il y plante des orchidées – jusqu’à 29 000 à un moment – et y élève des animaux exotiques. En 1962, un gel exceptionnel détruit la plupart des fleurs. A partir de ce moment, notre excentrique Anglais érige une multitude de structures en béton, d’inspiration surréaliste, aux noms comme “la Maison sur trois étages qui en aura en fait cinq, ou quatre, ou six”, “la Maison avec un toit comme une baleine”, “le Temple des canards” ou “l’Escalier vers le paradis”. La construction de Las Pozas coûte plus de 5 M$ (l’équivalent de 20 M$ actuels).
En 2007, la Fundación Pedro y Elena Hernández, le cimentier Cemex et le gouvernement de l’Etat de San Luis Potosí achètent Las Pozas et créent Fondo Xilitla, une fondation dédiée à la préservation et à la restauration du site.
A la découverte de Las Pozas
Face à l’entrée du domaine, des sentiers sinueux partent ça et là et longent neuf sortes de “piscines” qui bordent une rivière, le tout relié par des cascades. Au milieu des ombres mouvantes et des nuages de brume qui se dressent au-dessus de Las Pozas, s’élèvent des cactus de béton de plus de 6 m, une plate-forme champignon ou encore des escaliers en spirale qui s’enroulent autour d’un grand arbre et disparaissent. D’énormes colonnes cannelées sont éparpillées tout autour. Et côtoient des mosaïques colorées, de grandes portes encadrées d’étoiles en fer forgé. La végétation laisse entrevoir une ville rêvée inachevée, parsemée de fleurs bulbeuses. Le tout multicolore, entouré d’immenses fougères, de lianes, d’arbres trapus, entrelacés avec les constructions, si bien qu’il est impossible de dire où la jungle et les sculptures commencent.
Et là, au détour d’une passerelle, une main de pierre presque aussi grande qu’un homme se dresse. A côté d’elle, un dôme de 24 m de hauteur, presque une tête olmèque. Les chutes d’eau sont ornées de plates-formes, de murs courbes, d’arcs-boutants. De petites proues mystérieuses s’avancent dans les bassins. Les piscines inférieures comportent des plongeoirs et des petites plages de sable. En 1979, lorsque l’endroit semblait presque achevé, Edward James fit amener des lignes électriques de Xilitla pour illuminer la montagne chaque nuit.
On peut encore l’imaginer errer, dans ce dédale surréaliste, « dans sa maison de la jungle avec un perroquet perché sur son épaule ». Soudain, emberlificoté dans des grands arbres, c’est un assemblage de piliers sculptés, de pilastres hétéroclites. Un Angkor américain. Le long d’une autre passerelle surélevée, apparaît un effrayant obélisque appelé “la Colonne stégosaure”. Plus loin, un étang à poissons revêt la forme d’un œil humain.Au fil des ans, les sculptures ont fusionné avec la végétation en une sorte de ville désordonnée.
Retrouvez “Edward dans sa jungle”, éditions Fayard, Anne Vallaeys, 2010, qui raconte avec délicatesse « l’extravagante existence » d’un ami des arts.
Cet article est à retrouver prochainement en podcast.