Pour accompagner son développement économique, entre les années 1920 et 1990, la France fait ériger des dizaines de barrages. Mais ces prouesses techniques cachent souvent des drames humains. Ceux des habitants des vallées amenés à disparaître sous les eaux...
Il aurait pu s’intituler “La nostalgie des vallées perdues” ou encore “Les eaux mortes”. Pourquoi Gérard Guérit, son auteur, a choisi de titrer son dernier ouvrage “La France des villages engloutis”. A travers l’histoire de vallées françaises, sacrifiées sur l’autel de l’énergie propre, Gérard Guérit raconte surtout la destinée de milliers de petits propriétaires, qui ont tout perdu. Ces “petites gens” qui ont vu disparaître leurs maisons, leurs terres, leurs vies d’avant lors de la construction, puis de la mise en eau de gigantesques barrages. « La littérature sur ces immenses ouvrages est très dense, mais peu de choses ont été écrites sur les habitants, sur les riverains lors de la construction de ces barrages », explique Gérard Guérit. Et de poursuivre : « A l’époque de ces grandes réalisations, le côté “tourisme et loisirs” n’était pas du tout à l’ordre du jour. Les habitants ne se projetaient pas dans un nouvel avenir. Ils voyaient cela comme un sinistre, une catastrophe ».
Il n’y avait pas de médiation, d’accompagnement. On disait juste aux habitants d’aller vivre ailleurs, souvent dans un “nouveau” village reconstruit plus haut. Mais que faire après ? Un paysan qui a toujours cultivé sa terre ne sait pas devenir un loueur de pédalos destinés aux touristes, voulant faire une virée sur un lac de barrage. La seule chose qu’il voyait, c’était son torrent, sa rivière vive se transformer en « eau morte ». C’est ainsi que la plupart appelaient les lacs de barrage.
A travers quatre grandes périodes
Journaliste de la presse construction, Gérard Guérit a rencontré son premier barrage au début des années 2000. Une visite de la cuvette de Tignes, à l’occasion de la vidange du barrage. Une opération périodique obligatoire pour s’assurer de la bonne santé structurelle de l’ouvrage. Là, en quelques semaines, la vie reprend ses droits dans l’ex-vallée, qui se couvre d’un manteau verdoyant. On redécouvre l’ancien lit de l’Isère. Puis, les ruines de l’église, de la mairie, des écoles, le mur d’enceinte de l’hôtel de la Grande Motte… « Le journaliste étant un être curieux, j’ai cherché à suivre les vidanges décennales des grands barrages français, qui cachent des villages engloutis. » Ainsi, quelque quarante-quatre sites sont racontés et richement illustrés d’images d’hier et d’aujourd’hui. L’ouvrage est segmenté en quatre grandes périodes : l’entre-deux guerres, les années 1950, les années 1960 et les derniers grands projets. Ce qui amène le lecteur jusqu’en 1992 jusqu’au réservoir Aube, près de Troyes. Enfin, Gérard Guérit met en lumière sept villages, qui ont échappé à l’ennoiement.
“La France des villages engloutis” n’est pas un plaidoyer pour ou contre les barrages. Il conte seulement des histoires humaines. « La construction de ces grands barrages correspond au développement économique de la France. Elle fait donc partie de son histoire. Il faut savoir que l’électricité d’origine hydraulique est la seconde source d’énergie en France, après le nucléaire et la 3e dans le monde. Enfin, ces ouvrages ont participé à l’essor des lieux où ils ont été implantés. Même si cela s’est fait dans la douleur et a pris du temps. »
Frédéric Gluzicki
La France des villages engloutis, par Gérard Guérit – 240 pages
Editeur : Editions Sutton – 37000 Tours
Prix : 25 € TTC
Parution : mai 2019