Le projet de l’Eglise Sainte-Bernadette du Banlay, à Nevers (58) a été mené par l’architecte Claude Parent, inventeur de la “fonction oblique” en architecture, et l’ingénieur Paul Virilio. Retour sur un étrange “bunker spirituel”.
Le projet de l’Eglise Sainte-Bernadette du Banlay, à Nevers (58) a été mené par l’architecte Claude Parent, inventeur de la “fonction oblique” en architecture, et l’ingénieur Paul Virilio. Retour sur un étrange “bunker spirituel”.
Pour apprécier à sa juste valeur l’église Sainte-Bernadette de Nevers, il faut connaître les motivations de ces deux créateurs liées à des contextes précis. En 1866, à son arrivée à Nevers, Bernadette Soubirous, déclare : « Je suis venue ici pour me cacher ». Plus tard, lorsqu’on l’interroge sur Lourdes, elle avoue : « La grotte, c’était mon ciel sur terre ». Tout est dit, la conception du Centre paroissial du quartier du Banlay peut débuter. Le thème est à la fois la grotte de la révélation mariale et l’abri pour s’abriter. Et l’abri, c’est aussi l’abri atomique ! Car, rappelons que nous sommes au début des années 1960, en pleine Guerre froide. L’heure est grave, la sécurité du bloc de l’Ouest menacée. C’est ainsi que l’architecte Claude Parent, « fait appel à une architecture militaire. Dans cette architecture militaire, qui est de défense et non d’agression, le monde intérieur devient un univers protégé ». C’est aussi l’achèvement du concile Vatican II, si important pour la liturgie de l’Eglise qui insiste sur le caractère sacré de la personne humaine. Ce n’est plus le temps de la démesure dans l’architecture. Le modernisme ambiant prône un dépouillement des formes, des volumes, l’authenticité des matériaux, le refus des artifices, de tout ce qui encombre le regard. La “fonction oblique” du tracé défendue par Claude Parent et Paul Virilio apporte de plus un regard nouveau sur l’opposition entre la verticalité de l’habitat urbain, des gratte-ciel, du style gothique et l’horizontalité des constructions traditionnelles. La forme du plan est celle d’un cœur avec ses deux ventricules, la référence au bunker est une évocation de la grotte.
Dans la lignée du “brutalisme”
L’église s’articule autour des deux plans inclinés de la nef abritée par deux demi-coques en béton s’imbriquant l’une dans l’autre. L’expression du porte-à-faux dans la masse est manifeste au niveau de la façade et de l’arrière, où l’importance du surplomb crée une impression de déséquilibre. Cette instabilité jointe à l’usage du béton brut fait de l’extérieur un lieu peu hospitalier qui contraste avec la douceur des courbes et de la lumière de la nef concave. « C’est une église très intentionnelle où rien n’est laissé au hasard. […]. Cette cuirasse, lieu terrible, dont le seuil est difficile à franchir, s’ouvre sur un espace intérieur protecteur. » Dans sa nudité, « le béton invite au recueillement et la luminosité est proche de celle des chapelles romanes ».
Claude Parent et Paul Virilio sont des représentants du “brutalisme” en architecture. Ce courant marque la volonté de montrer les matériaux sous l’aspect brut de leur façonnage industriel : c’est surtout vrai dans le cas du béton pour lequel l’empreinte des planches de coffrage est laissée apparente.
Les allures de paquebot de béton de Sainte-Bernadette évoquent les années 1930, et on remarquera les petites ouvertures qui peuvent également faire penser à Ronchamp (Le Corbusier, 1955). Mais est-ce bien d’un paquebot de béton qu’il s’agit ? Bien plus un bunker, qui est d’ailleurs le surnom que lui ont donné les Nerversois. Non sans à propos, car les bunkers étaient alors un des centres d’intérêt de Paul Virilio, comme le souligne son livre Bunker archéologie. Virilio dit avoir immédiatement identifié les blockhaus aux rites funéraires (tombes étrusques, structures aztèques…). Sans doute cette réflexion a-t-elle nourri son désir de reprendre la forme du blockhaus pour l’église Sainte-Bernadette. Celle-ci comparée à un “bunker d’une imaginaire ligne Maginot de la spiritualité”, qui aura fait couler beaucoup d’encre et aura été beaucoup décriée, a été, en 2000, classée au titre des Monuments Historiques. Puis a reçu, en 2005, le label du “Patrimoine du XXe siècle” par la préfecture de Dijon.
Muriel Carbonnet