En Pologne, la ville de Gdańsk a choisi de relever un difficile défi : montrer d’une manière exhaustive le plus grand conflit armé du XXe siècle. Le nouveau Musée de la Seconde Guerre mondiale comme l’exposition sont impressionnants. Et le bâtiment a même décroché le premier prix du XXIIe concours “Le ciment polonais en architecture”.
Retrouvez cet article dans le hors-série n° 23
Envahi par les touristes, le vieux Gdańsk avec ses bâtiments aux toits rouges, fruit de la reconstruction de l’après-guerre. Se termine quelque part près du Marché aux Poissons. Plus au Nord, les constructions deviennent plus rares : nous entrons dans une zone à l’urbanisme accidentée […]. Nous sommes dans le faubourg de Wiadrownia, jadis quartier pauvre de la vieille ville […]. Dans un avenir encore indéfini, visibles au loin, les terrains post-chantiers navals [ndrl : là où est né le syndicat Solidarność] doivent devenir les zones d’expansion de la ville nouvelle, un quartier résidentiel et de services. Le projet urbain annonce le futur et montre que la naissance en ce lieu d’un nouveau musée. Consacré à la Seconde Guerre mondiale, n’est pas un hasard. Que la ville a voulu faire le premier pas, relier le vieux et le nouveau Gdańsk […].
« Nous savons que l’exposition consacrée à la guerre occupe la première place et que l’architecture passe au second plan. Mais je suis tout de même satisfait si j’entends des compliments sur notre bâtiment », indique l’architecte Jacek Droszcz, du studio d’architecture Kwadrat (Carré). L’exposition multi-facettes a été préparée par un groupe d’historiens renommés (parmi lesquels Paweł Machcewicz et Janusz Marszalec). Dans le cadre d’une nouvelle institution d’Etat. A savoir, le Musée de la Seconde Guerre mondiale, voulu en 2008 par le ministre de la Culture et du Patrimoine polonais. Très vite, un concours international est lancé pour définir la forme artistique de l’exposition elle-même. Ce n’est qu’une fois le concept abouti (concours remporté par l’agence de design belge Tempora). Que le musée a organisé un concours international d’architecture pour le bâtiment en tant que tel.
Descendre l’édifice dans les profondeurs
La scénographie de l’exposition et la manière de raconter l’histoire de la guerre ont été intégrées aux termes du concours d’architecture. Remporté par le cabinet Kwadrat, basé à Gdańsk, face à plus de 120 candidatures, dont des studios de renommée internationale. « Notre mission était de créer une enveloppe pour […] ce programme clairement défini », précise l’architecte de Basil Domsta. Et Jacek Droszcz, d’estimer :« Nous avons gagné parce que nous avons remis tout le concept à plat au dernier moment ». Les architectes ont abordé le projet à plusieurs reprises et ont fait marche arrière, n’en étant pas satisfaits […].
La contrainte réelle était que l’exposition principale devait se développer sur une superficie de 5 000 m2. Tandis que la parcelle s’avère être bien petite pour un pari aussi audacieux. Elle est prise en tenaille entre les rivières Radunia et Motława. La solution a consisté à descendre l’édifice dans les profondeurs plutôt que de le développer vers les cieux. Les architectes ont ainsi “immergé” l’exposition et n’ont laissé en surface que quelques signes architecturaux forts […]. La tour penchée de 40 m en est l’élément le plus emblématique. Selon les concepteurs, l’espace ainsi libéré en surface doit un jour se transformer en une place urbaine. Ainsi qu’une agora, un lieu de rencontre, qui manque tant à Gdańsk.
Un phare associé à l’espoir
« Pour beaucoup, le bâtiment du musée est associé à une tour penchée », souligne Jacek Droszcz. Les concepteurs voulaient créer un objet unique et énigmatique, qui directement « ne soit associé à rien »[…]. Faite de verre et de béton, illuminée le soir, la tour est visible à des centaines de mètres à la ronde […]. Un point lumineux, tel un phare, qui peut être associé à l’espoir.
Pas simple d’enfouir un terrain de 1,5 ha (un trapèze de 193 m sur 133 m), dans un sol baignant dans la nappe phréatique. Le fond de fouille était situé à – 18 m par rapport au terrain naturel. L’excavation est ceinturée par une paroi étanche de 1 m d’épaisseur, descendant à près de 26 m de profondeur […]. La construction s’est faite en plusieurs phases. Une fois les parois moulées réalisées, une première couche de terre de 4,50 m d’épaisseur a été excavée. La partie supérieure des parois a ensuite été sécurisée par l’intermédiaire d’ancrages. Avant l’approfondissement de la fouille, à concurrence de – 18 m. Au fur et à mesure du creusement, les eaux d’infiltration remplissaient l’excavation […]. Aussi, pendant un certain temps, les travaux de creusement se sont poursuivis à partir de plates-formes de dragage évoluant sur l’eau.
Un Sherman et un T-34 sur le chantier
Le fond de fouille atteint, un millier de micropieux ont été forés. Le “bouchon” – une couche de béton non armé de 2 à 2,50 m d’épaisseur – a été coulé par l’intermédiaire d’une longue conduite, dont l’extrémité se situait au fond de la fouille […]. Le bétonnage a duré 10 j continu, 24 h/24. Le “bouchon” a stoppé les venues d’eaux souterraines. In fine, toute l’eau présente dans l’excavation a pu être pompée. A partir de cet instant, les équipes du chantier ont coulé un radier de fondation en béton armé de 1,50 m à 2 m d’épaisseur, ancré sur les micropieux. C’est dans cette boîte étanche qu’a été construite la structure monolithique en béton armé du musée.
Petite curiosité : près de deux ans avant l’achèvement de la construction. Les premières pièces de l’exposition ont été placées sur le radier de fondation. A savoir, un char américain Sherman et son alter ego soviétique T-34. En effet, compte tenu de leurs gabarits, ces deux équipements militaires devaient être installés à leurs emplacements définitifs avant la réalisation de la dalle de couverture du musée […].
Un escalier, tel un spectacle
Nous pénétrons sur l’esplanade du musée (c’est-à-dire sur la dalle de couverture protégeant l’infrastructure du bâtiment), comme on monte sur un navire. Par une passerelle posée sur une branche secondaire de la rivière Motława. De là, nous descendons plusieurs dizaines de marches pour atteindre l’accueil du musée, situé au niveau – 4,50 m. Les 10 m suivants sont franchis grâce à un vaste escalier en béton […]. Monumental, cet escalier mène le visiteur jusqu’à la partie inférieure du musée, en un parcours continu, sans virage ni rupture. Plus qu’un système de communication, il est un théâtre, un spectacle joué avec panache. Il suscite l’humilité. Il est ostentatoire. Les architectes ont cherché à impressionner les visiteurs par l’ampleur de la conception.
Ayant atteint le niveau le plus bas, nous pouvons commencer la visite. La colonne vertébrale de l’exposition est un imposant corridor en béton. Cet axe central rappelle une avenue, de laquelle partent des rues secondaires. Le scénario de la visite repose sur un schéma simple : les entrées et les sorties des salles d’exposition se situent toujours dans le même corridor […]. Le lieu bénéficie d’un traitement aussi monumental que l’escalier. Ses parois en béton se développent sur 14 m de haut et la totalité de l’espace est éclairée par une lumière zénithale naturelle provenant de la dalle de couverture et de la tour penchée.
Un hommage au passé
Pour les initiés : l’axe souterrain du musée suit en tous points le tracé de la rue Wielka (Grand-rue) d’avant-guerre. La plus importante du quartier de Wiadrownia. C’est l’hommage des architectes au passé de la ville. Des recherches archéologiques préliminaires ont révélé le tracé des vieilles rues et même la présence d’anciens pavés sur les chaussées. Ces matériaux ont été conservés et intégrés au corridor souterrain, 14 m plus bas qu’à l’origine.
Nous ne venons pas au musée pour son architecture. Son objet est l’exposition sur la guerre […]. En passant de pièce en pièce, en reliant les faits entre eux, nous prenons conscients de l’étendue de l’histoire et du nombre de sujets, auxquelles nous sommes confrontés. La scénographie occupe une place importante, mais reste discrète. Il y a un juste équilibre, les concepteurs n’ont pas eu la “folie” de rendre la guerre attrayante. Ils ont consacré beaucoup d’attention aux pièces authentiques – les témoins de l’histoire. Non seulement militaires, mais ceux liés à l’occupation, à la terreur, à la résistance, à la vie quotidienne et à l’angoisse de la population civile. Ces éléments sont terrifiants et difficilement soutenables pour le visiteur. Il y a plus de deux mille de ces pièces. Dont nombre de souvenirs personnels conservés durant des décennies par des particuliers et aujourd’hui confiées en dépôt au tout nouveau musée.
Paweł Pieciak,
avec nos remerciements à la revue polonaise BTA – Budowniectwo, Technologie, Architektura (Construction, Technologies, Architecture)
Traduction et mise en forme : Frédéric Gluzicki
Repères
Maître d’œuvre : Studio d’architecture Kwadrat (Gdańsk)
Scénographie : Agence Tempora (Belgique)
Entreprises : Warbud (groupe Vinci), Hochtief et Soletanche Polska
Surface totale : 57 386 m2