A Bordeaux, le pont Simone Veil affiche des dimensions record : 44 m de large pour 549 m de long. Un ouvrage qui a su anticiper les nouvelles attentes en matière de partage de l’espace urbain.
Article paru dans Béton[s] le Magazine n° 114.
Tout juste inauguré, le nouveau pont Simone Veil1 de Bordeaux (33) n’est pas un ouvrage de franchissement comme les autres. Déjà par les dimensions impressionnantes de son tablier qui se développe sur 44 m de large, pour une longueur totale de 549 m. Surtout, il se distingue par son organisation. L’automobile y tient presque une place secondaire, laissant le champ libre aux mobilités douces, aux piétons et aux transports publics. Ce choix peut sembler logique ou naturel aujourd’hui, tant les mentalités des urbains ont évolué ces dernières années. Pourtant, il n’en était pas moins ambitieux de la part des architectes Rem Koolhaas et Gilles Guyot, de l’agence néerlandaise Oma, au moment de sa conception, en 2013… A sa manière, l’ouvrage anticipait des attentes non encore vraiment exprimées. Il figure, à l’heure actuelle, un espace partagé reliant avec efficacité les communes de Bègles, de Bordeaux et de Floirac.
Lire aussi : Gironde : Un projet bordelais en EcoPact de Lafarge
.
.
Le pont Simone Veil constitue le 8e franchissement de la métropole bordelaise. Il repose sur huit appuis situés dans le lit de la Garonne et deux en rive. Et là, déjà, les variantes techniques s’expriment. Co-mandataires des travaux de génie civil, Bouygues Travaux Publics Régions France et Pro-Fond ont proposé la réalisation de piles indépendantes (il y en a quatre par appui), chacune fondée sur un pieu unique de Ø 2,50 m. Une première en France. Ceci, en lieu et place d’une semelle de répartition de 45 m de long pour 7,50 m de large reposant en fond de fleuve. Et fondée sur 10 pieux de Ø 1,50 m. Ce dispositif a évité la mise en place d’un batardeau de très grandes dimensions et générateur d’affouillements importants.
Des estacades pour chemin d’accès
Toutefois, la réalisation de pieux de Ø 2,50 m n’en était pas moins un défi. Elle s’est faite à l’abri d’un tube métallique de 30 m de long vibro-foncé dans le lit du fleuve. Le forage du pieu s’est déroulé en deux étapes, sous bentonite : tout d’abord, un forage de Ø 1,50 m, suivi d’un agrandissement à Ø 2,50 m à l’aide d’un outil conçu sur mesure. A l’issue, les entreprises ont positionné dans l’ouverture une cage d’armatures monolithique de 25 m de long au maximum pour un poids de 20 t environ. Le bétonnage du pieu – 120 m3 en moyenne – constituait la dernière phase de l’opération. Une fois les quatre pieux d’une file de piles réalisés, était mis en place un tapis de gabions d’enrochement anti-affouillements sur une superficie de 55 m de long sur 15 m de large.
Construire huit files de piles dans l’eau n’est pas chose aisée et impose une logistique conséquente. A commencer par l’installation de zones de travail sécurisées et accessibles depuis les berges. Ainsi, deux estacades provisoires courent sur la quasi-totalité de la largeur du fleuve. Seule, une passe navigable est laissée libre entre les files P3 et P4. A l’achèvement de l’ouvrage, elle doit basculer vers la partie centrale du pont, c’est-à-dire entre les piles P4 et P5. L’accès aux zones de travaux des piles se fait par l’intermédiaire d’épis, des extensions perpendiculaires aux estacades, d’une longueur unitaire de 45 m.
Tablier mixte acier-béton
Les fûts des piles s’inscrivent dans le prolongement direct des pieux de fondation. Leur réalisation est tout aussi innovante. Dans un premier temps, un caisson métallique étanche et réutilisable est fixé à chaque tube de forage encore en place, puis descendu jusqu’au fond de la Garonne avant d’être vidé de son eau. Ensuite, chaque tube est retiré pour libérer la zone de travail autour de chaque future pile. Leur réalisation est, elle, classique : mise en place de cages d’armatures dans un coffrage dédié et coulage du béton. Une fois chaque file d’appui exécutée, un chevêtre de 45 m de long pour 3 m de large et 2 m de haut vient en couronnement. Il relie entre elles les quatre piles constituant une file d’appui et assure la répartition des descentes de charges.
Lire aussi : Garandeau ou la sécurité vue par… un BPE
.
.
Le tablier du pont Simone Veil est de type mixte, reposant sur une charpente métallique composée de quatre bi-poutres, d’une longueur unitaire de 549 m. Ces éléments sont mis en place par lancement à partir de la rive droite. L’emprise du chantier étant limitée, l’assemblage de chaque bi-poutre se fait à l’avancement, par ajouts successifs d’éléments de 90 m de long. Au total, 24 phases de travail ont été nécessaires pour positionner les quatre bi-poutres à leurs emplacements définitifs.
Le hourdis supérieur du tablier est en béton. Il est coulé en place selon la technique du pianotage. Celle-ci voit la réalisation de segments positionnés de manière uniforme sur la charpente métallique porteuse. L’objectif est d’assurer une bonne répartition des masses sur l’ouvrage, tout en éliminant les risques de déformation des bi-poutres. Une fois chaque demi-tablier réalisé, l’ensemble est relié par clavage.
Comme dans une épreuve sportive !
Le pont Simone Veil a nécessité quelque 20 000 m3 de bétons (pour 8 000 t de ciments) dont 9 000 m3 pour le hourdis du tablier. Les autres 11 000 m3 ont servi principalement à la réalisation des pieux de fondation (3 600 m3), des piles et culées (3 200 m3), et des chevêtres (2 500 m3). Dix formules cohabitaient sur le site, issues du laboratoire de Garandeau Bétons, fournisseur exclusif du chantier. « Nous avions déjà été le partenaire de la première phase des travaux qui avait vu la réalisation de la tranchée couverte pour la route située en rive gauche, explique Ann Soucaret, directrice de l’activité “bétons” du groupe Garandeau. Nous voulions donc être présents sur le chantier du pont Simone Veil… La compétition fut rude, mais je suis une personne qui ne lâche rien, comme dans une épreuve sportive ! »
Le choix du ciment
Garandeau Bétons a eu aussi des sueurs froides avec un des ciments proposés. En effet, le cahier des charges du chantier imposait, pour le tablier, un béton avec un faible retrait, limité à 650 µm/m. Et une importante résistance à jeune âge de 15 MPa à 24 h.
De fait, le choix s’est porté sur un CEM I particulier, approuvé à la suite d’une étude technique. « Sauf qu’entre le moment de sa préconisation et celui de l’acception par le groupement d’entreprises, Lafarge a annoncé arrêter la production de ce ciment, reprend Ann Soucaret. Nous avons dû repartir sur un ciment équivalent, mais originaire d’une autre de ses cimenteries. Et réaliser une dizaine d’essais complémentaires… »
Au final, le choix s’est porté sur le CEM I 52,5 N SR5 de la cimenterie Lafarge du Teil (07). « Les CEM I produits sur les sites de Martres-Tolosane, en Haute-Garonne, ou de Port-la-Nouvelle, dans les Pyrénées-Orientales, ne répondaient pas au cahier des charges, en termes de retrait, précise Emmanuel Duchet, responsable industrie de Lafarge Ciments sur le Grand Ouest. D’où l’option du CEM I en provenance du Teil. »
Une conséquence positive
Pour la partie “infrastructure” du pont, les formulations se sont articulées autour du ciment EcoPlanet CEM III/B 42,5 SR PM, fabriqué sur le site de La Malle, près de Marseille. Ce choix a permis de réduire de près de 50 % l’empreinte carbone des bétons du chantier sur cette partie d’ouvrage. Ce n’était pas une volonté initiale du groupement d’entreprises ou du maître d’ouvrage, à savoir Bordeaux Métropole. Mais plutôt la conséquence positive des contraintes techniques. En tout cas, le résultat est là et il serait dommage de bouder son plaisir…
« Il n’y a pas de différence dans la fabrication d’un béton à empreinte carbone réduite, en comparaison à un béton dit “classique”, souligne Ann Soucaret. En revanche, il peut y en avoir en termes d’adjuvantation, surtout pour obtenir la bonne consistance, d’autant plus que le E/C est bas. » C’est Master Builders Solutions qui a fourni les adjuvants, en particulier pour atteindre des durées pratiques d’utilisation (DPU) de 6 h pour les pieux (avec un affaissement de 210 mm +/- 30 mm). Les bétons du tablier, eux, étaient plus standards, avec une DPU de 2 h et une classe de consistance S4. Ces exigences couplées à la nature des ciments ont toutefois imposé des temps de malaxage proches des 90 s.
Des gilets de sauvetage pour les chauffeurs
Garandeau Bétons a mobilisé trois unités de production. Sa centrale de Bassens, distante de 20 à 25 mn du chantier et située au Nord de Bordeaux, en était la principale. En appoint, il y avait celle de Cavignac, au Nord-Est de la ville. Quant à la centrale de secours, il s’agissait de celle de Saint-Jean-d’Illac, à l’Ouest de Bordeaux. « Le pont Simone Veil n’était pas un chantier de gros volumes, mais une opération demandant des approvisionnements “standards” et réguliers », confirme Ann Soucaret. Ainsi, Garandeau Bétons a plutôt travaillé dans la durée. « La seule contrainte a été d’équiper tous nos chauffeurs de gilets de sauvetage, car les livraisons se faisaient sur une estacade surplombant la Garonne. Nous avons opté pour des gilets type aviation pour des questions de confort. » Toutefois, cette dépense non programmée ne fut pas anodine…
Les emmerdes volant souvent en escadrille, comme le disait l’ancien président de la République, Jacques Chirac, Garandeau Bétons a eu droit aux mouvements des agriculteurs. Résultat, la centrale de Bassens – la plus proche du chantier –, bloquée ! L’industriel s’est donc rabattu sur celle de Saint-Jean-d’Illac. « Nous avions une dérogation pour traverser Lormont, au Nord de Bordeaux durant les travaux de construction de la tranchée couverte. Nous pensions qu’elle serait renouvelée. Erreur ! Résultat, nous avons dû contourner cette commune. Pas très pratique… » Mais à cœur vaillant, rien d’impossible. Et Ann Soucaret, de conclure : « Nous avons eu plaisir à travailler sur le chantier du pont Simone Veil. Toutes les équipes ont été au top. Je leur adresse un grand “merci ».
Frédéric Gluzicki
1Simone Veil (1927-2017) fut magistrate et femme d’Etat française. Rescapée d’Auschwitz durant la Shoah, elle est devenue ministre de la Santé sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Elle est à l’origine de la loi sur l’interruption volontaire de grossesse. Dès lors, elle apparaît comme une icône de la lutte contre la discrimination des femmes en France. Plus tard, elle fut la première personne élue à la présidence du Parlement européen (1979-1982). Avant de redevenir ministre de la Santé dans le gouvernement Balladur (1993-1995). Enfin, elle a siégé au Conseil constitutionnel (1998-2207) et a été élue à l’Académie française en 2008. Depuis 2018, elle repose avec son époux (Antoine Veil) au Panthéon.
Repère
Maître d’ouvrage : Bordeaux Métropole
Maîtrise d’œuvre : Oma – Rem Koolhaas et Gilles Guyot, architectes
Bureau d’études : WSP, Egis et JMI
Groupement d’entreprises “génie civil” : Bouygues Travaux Publics Régions France et Pro-Fond
Bétons : Groupe Garandeau
Ciments : Lafarge
Délai : 5 ans
Suivez-nous sur tous nos réseaux sociaux !