D’un côté, il y a une volonté gouvernementale de sécuriser l’emploi via l’industrie. De l’autre, une multitude de freins structurels, conjoncturels ou locaux qui compliquent cette ambition. Au centre, les industriels du béton, au sens large du terme, font preuve de patience et de pédagogie pour améliorer leur maillage territorial. Non sans quelques frustrations...
Article par dans Béton[s] le Magazine n° 111
C’est une ambition. Un objectif. Un mantra. Emmanuel Macron et ses différents gouvernements ont fait de la réindustrialisation du territoire français l’un des piliers de leurs politiques économiques. « La réindustrialisation de la France reste la mère des batailles », assène ici le président de la République. Et d’insister : « L’industrie est un pilier essentiel de notre économie pour assurer l’indépendance et la souveraineté de la France ». Lors de la passation de pouvoir entre Elisabeth Borne et Gabriel Attal, l’ancienne Première ministre a glissé dans son discours d’adieu : « Je lui souhaite de continuer les succès engrangés, en particulier par l’accélération de la réindustrialisation ».
Ces discours ont été transposés en investissement, dès la première année, du premier mandat d’Emmanuel Macron, avec le plan France 2030 doté de 54 Md€. Ce dernier vise à créer de nouvelles filières industrielles et technologiques. Outre les énergies vertes, il permet de sécuriser l’accès aux matières premières, de faire émerger des talents industriels et d’aider au déploiement des start-up. Déjà 21 Md€ ont été investis, créant ou maintenant en place, selon le gouvernement, quelque 40 000 emplois locaux.
Ce plan est complété par des aides à la transformation digitale, à la transformation écologique. Mais aussi, par le plan “Industrie du Futur” ou encore, par les appels à projets et à manifestations. Sans oublier le Programme Investissements Avenir (PIA 3). Cette volonté française s’inscrit dans un mouvement européen, qui s’appuie en particulier sur le Green Deal et son volet industriel, qui visent à relocaliser les productions pour en maîtriser l’empreinte carbone.
Produire historiquement en local
Ainsi, l’argent coulerait presque à flots pour les industriels désireux de se (ré)installer ou de s’étendre sur le territoire national. L’époque serait parfaite pour investir. Posez cette question aux différents intervenants du présent dossier et vous obtenez un petit rire laconique… Une fois le discours et les annonces passés, la confrontation au terrain est plus difficile. En particulier, pour l’industrie du béton dans son ensemble. En effet, les freins sont nombreux pour concrétiser un projet industriel. C’est ce que nous allons comprendre au fil de ces pages.
Mais avant, les acteurs concernés ont aussi tenu à rappeler un fait essentiel : le béton ne se réindustrialise pas, puisqu’il n’a jamais été délocalisé. « Compte tenu des caractéristiques de nos produits, notre production n’a pas été délocalisée, confirme Jacques Manzoni, Dg de la Fédération de l’industrie du béton (Fib). Nous ne sommes donc pas en phase de réindustrialisation. Le maillage actuel de notre industrie a la capacité de répondre à une demande forte de chantiers, notamment en logements. En 2017-2018, nous répondions à une production annuelle de 470 000 logements. »
Même son de cloche pour Jean-Marie Modica, président du Syndicat national du béton prêt à l’emploi (SNBPE) : « Le maillage industriel du béton couvre l’ensemble du territoire avec des livraisons de proximité. En effet, le BPE n’a pas subi de délocalisation des emplois. Il y a aujourd’hui environ 2 000 centrales sur le territoire national, ce qui correspond bien aux besoins actuels. »
Trouver le foncier nécessaire
Reste que des entrepreneurs veulent créer de nouveaux sites industriels. Et d’autres, étendre et développer leur activité existante. C’est en général là que les problèmes commencent… Premier obstacle : trouver le foncier nécessaire. A un prix raisonnable et rentable pour pérenniser l’activité. Ainsi, Franck Duval, Pdg de Béton Bâtir Sud Francilien (BBSF), est en recherche permanente de terrains.
« Bien entendu, le prix du foncier est un problème pour nous. Que ce soit à l’achat ou à la location, le foncier est très cher, au point de remettre en cause le modèle économique d’une installation. » Même discours pour Alexandre Souvignet, Pdg de la société de coffrages Alphi : « Le foncier est un vrai enjeu pour les industriels. Nous possédons un site en Ile-de-France où les terrains sont très rares et très chers. Ce site parisien, nous l’avons acquis en 2012. Aujourd’hui, le prix des terrains à proximité a flambé de 600 % ! »
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Christian Savignard, gérant de Transmanut-LTA (centrales mobiles à chapes fluides), avait, lui, anticipé dix ans auparavant en prévoyant une réserve foncière lors de la création de son atelier de production (41). « Sans ce terrain, nous n’aurions pas pu mener à bien notre projet de 4 500 m2 en cette fin d’année 2023. Les terrains sont chers, parce qu’il y en a très peu. » Cette rareté est notamment due – on le verra plus loin – à la difficulté de faire accepter à un tissu urbain, l’arrivée d’une usine de production.
Mais il y a aussi des freins plus structurels. Comme l’arrivée de la loi Zan, qui ajoute de la tension là où il y en avait déjà. Même si, pour beaucoup, cette nouvelle loi est une opportunité de transformation de l’économie. A la tête de Territoria, Gilles Teisseyre « aide au redéveloppement et à la réhabilitation des patrimoines industriels et des savoir-faire locaux ». Ceci, en accompagnant les intéressés dans leur volonté d’installer de nouvelles entreprises sur d’anciennes friches industrielles.
Profiter du tissu industriel déjà existant
« Il y a environ 140 000 ha de friches industrielles répertoriés en France. Ce travail d’identification est effectué par les préfectures, reprend Gilles Teisseyre. Mais je pense que le gisement est plus important. La loi Zan est un catalyseur en ce sens. Le foncier se fait de plus en plus rare et est de plus en plus cher. Cela devient un acte économique très intéressant d’investir dans une friche industrielle. » Nombreux sont ceux qui ont déjà passé le cap.
A l’image de Fabrice Latouche, dirigeant de Tournebois (44), spécialiste du coffrage sur mesure en bois : « Nous avons trouvé un terrain sur une friche d’un ancien hôpital psychiatrique, qui était réhabilitée. Elle nous a permis de trouver un terrain sans trop de difficultés, puisque nous n’allions pas à l’encontre des dernières mesures en termes d’artificialisation des sols. » Même idée pour Paul Cheminal, à la tête de R-Technologies qui préfabrique des murs en béton – bois. « En Haute-Savoie, rien n’est facile d’un point de vue foncier. Nous avons fait l’acquisition d’un terrain de 24 000 m2 avec une friche industrielle de 12 000 m2. Nous avons modifié le bâtiment pour qu’il corresponde à nos besoins. »
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Chez le fabricant de ciment bas carbone Cem’In’Eu, le choix se fait en fonction de l’accessibilité au foncier, comme l’explique Fabien Chardonnel, Dg : « Le site d’Aliénor Ciments était une friche industrielle de la Seita, à Tonneins, dans le Lot-et-Garonne, qui bénéficiait d’une ligne de chemin de fer déjà en place. C’était l’idéal pour nous. Rhône Ciments à Portes-lès-Valence, dans la Drôme, est une construction ex nihilo où nous avons réalisé les accès. Nous cherchons toujours à avoir au minimum une connexion ferroviaire directe et un accès fluvial, si possible. » Même propos pour Stéphane Di Rocco à la tête d’Europ’Equipement (44), spécialiste des centrales à béton. « Nous installer sur un site existant nous permettait de nous inscrire dans un tissu industriel déjà accepté. »
Surmonter le cauchemar du financement
Pour la question du foncier, Lionel Morenval, Dg de Muance, qui intervient dans la construction hors site de modules bas carbone pour les logements, a eu une réponse plus radicale. « La question du foncier n’en a pas été une pour nous. Nous avons fait passer le choix stratégique de l’emplacement au premier plan. Alors que notre siège était basé à Aix-en-Provence, dans les Bouches-du-Rhône, nous n’avons pas hésité à nous installer à Vatry, dans la Marne, à 2 h de Paris. Où l’ensemble des acteurs du territoire nous ont accompagnés dans l‘installation de notre infrastructure. »
En revanche, Lionel Morenval a dû lutter pour financer son projet. « Aujourd’hui, financer un projet comme celui-ci est un vrai parcours du combattant, car au-delà des belles publicités d’accompagnement des banques, surtout pour les start-up, la réalité est tout autre. Beaucoup de portes restent fermées. En conclusion, quand vous dites : “J’ai un projet industriel et innovant dans le BTP”, vous allumez tous les voyants au rouge. » Fabrice Latouche (Tournebois) a, lui, subi une autre forme de mésaventure : « Nous étions dans la phase de conception du projet quand le confinement est arrivé. A la reprise, les conditions économiques avaient changé et la banque ne voulait plus nous suivre. Cela mettait donc le projet en danger, mais aussi l’entreprise dans son ensemble, puisque nous avions acheté le terrain. »
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Pour Muance comme pour Tournebois, BPI France est venue apporter son aide, afin de mener à bien le projet. « Il est vrai qu’aujourd’hui, il y a un rétrécissement du cash disponible et une forte augmentation des taux, rappelle Alexandre Souvignet (Alphi). Cela tend les projets. De même historiquement, les délais des prêts étaient de 10-12 ans. Aujourd’hui, on est davantage sur 12-14 ans. »
Savoir se faire accepter
Bien entendu, des dispositifs d’aide sont disponibles. Mais la composition des dossiers de subventions est un véritable casse-tête. L’appel à un professionnel est indispensable. « Pour ma part, c’est mon expert-comptable qui m’a beaucoup soutenu et nous avons trouvé des interlocuteurs plutôt bienveillants », ajoute Alexandre Souvignet (Alphi). Ce que confirme Paul Cheminal (R-Technologies) : « Il est difficile pour une PME telle que la nôtre de monter des plans de financement, des dossiers d’autorisation ou des demandes de subvention. Il y a un suivi du Département et de la Région, mais nous nous sommes surtout tournés vers un cabinet spécialisé qui nous a beaucoup aidés. Sans lui, nous étions désarmés. »
Heureusement, les industriels finissent par décrocher des financements, après avoir trouvé le terrain. Commence alors la double phase d’autorisation administrative et d’acceptabilité par le tissu local. Un passage obligé, sans aucun doute plus compliqué pour les BPE et les cimentiers. « En général, les élus sont réticents à l’idée d’ouvrir un site industriel, tel qu’une centrale à béton, explique Franck Duval (BBSF). Pour eux, cela signifie de la nuisance. C’est une situation contradictoire car nous devons travailler sur une zone de chalandise de 30 km, en créant des emplois très locaux. Or, personne ne veut d’une unité de production de ce type à proximité de son jardin »
Ce que confirme Jean Marie Modica (SNBPE) : « L’acceptabilité d’un projet constitue le cœur de nos préoccupations. Il faut le rappeler : une centrale BPE aux normes capte 100 % de ses poussières, du bruit et réutilise son eau ».
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Etre en bons termes avec les élus locaux
Pour se faire accepter, il s’agit surtout de dialoguer. « Il faut beaucoup communiquer avec les élus, précise Franck Duval. Avec les services de l’urbanisme, des eaux. Il faut expliquer notre fonctionnement, comment nous allons gérer les eaux, la poussière… »
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Et faire visiter les installations. « Dans notre secteur, il est sans doute plus facile de se faire accepter lorsque l’on peut montrer des sites déjà en exploitation, explique Fabien Chardonnel (Cem’In’Eu). Les élus se projettent mieux sur l’activité industrielle. Les idées pré-conçues sont en général causées par une méconnaissance du sujet. »
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Reste que le dialogue et la préparation en amont n’empêchent pas les industriels de subir de nombreuses péripéties administratives. Celles-ci peuvent parfois être le fruit d’un changement de bord d’une municipalité… « Alors que nous avions déjà fait l’acquisition de notre terrain, nous avons appris qu’un accès autoroutier quasi-direct qui devait se faire ne se ferait finalement pas, explique Paul Cheminal (R-Technolgies). La nouvelle municipalité ayant arrêté le projet. Cela rallonge donc nos trajets de 30 à 35 mn. »
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Souvent, les industriels doivent aussi modifier ou adapter leur plan de départ pour correspondre au paysage local. « Nous avons modifié les anciens locaux, tout en restant dans leur emprise, selon le souhait des décideurs locaux, poursuit Paul Cheminal. Nous avons donc installé notre centrale à béton et ses silos dans l’enceinte du bâtiment. Et nous avons dû demander une dérogation au PLU, puisque le silo dépassait de 2 m. »
Pour l’un de ses sites, Franck Duval (BBSF) a reçu la demande de « cacher les silos. J’ai donc fait poser un bardage brise-vue. Cela a un coût, mais cela nous a permis d’être en bons termes avec les élus locaux. Nous avons aussi fait l’acquisition d’une chargeuse avec balayeuse pour un site où il nous était demandé de traiter les poussières, poussières qui ne viennent d’ailleurs pas de notre activité ! »
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Faire face à un paradoxe
C’est donc bien face à un paradoxe que se retrouvent bien souvent les industriels de la filière béton. D’une part, leur volonté d’innover et de transformer la construction pour qu’elle réduise son impact carbone. D’autre part, leurs difficultés à s’installer là où ils pourraient produire localement, avec un circuit court de matières premières. « A mon avis, la complexité pour ouvrir un site industriel vient de la conjonction des différentes contraintes, ainsi que des délais longs et d’un investissement important, estime Fabien Chardonnel (Cem’In’Eu). En revanche, on ne peut pas faire abstraction des différentes réglementations et du respect des parties prenantes. Il faut évaluer les contraintes en amont et faire avec, en les intégrant au projet. »
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Jacques Manzoni (Fib) s’inscrit sur le même registre : « Aujourd’hui, nous sommes face à un paradoxe. D’un côté, on pousse à la réindustrialisation pour disposer d’une souveraineté industrielle et pour sécuriser les emplois en France. De l’autre, la loi Zan, les zones à faibles émissions, les territoires d’expérimentation ou les zones de protection de biodiversité tirent dans le sens inverse. C’est un paradoxe, mais l’ensemble de ces décisions reste nécessaire. Il faut donc savoir conjuguer ces éléments avec intelligence pour les transformer en opportunités. »
Protéger l’eau et la biodiversité
Souvent, les industriels restent perplexes face à la situation, à l’image de Franck Duval (BBSF) : « La question de l’installation de sites industriels est très politique. Je ne fais pas de politique. Tout le monde veut consommer plus local, créer des emplois locaux, mais personne ne veut d’une centrale béton à 2 km de ses fenêtres. C’est une situation contradictoire. Je pense qu’il faut informer les gens de ce que nous faisons et comment nous le faisons. C’est notamment le rôle de nos syndicats professionnels ».
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Mais la conclusion incombe à Fabien Chardonnel (Cem’In’Eu) : « Je n’ai pas d’avis tranché. Oui, c’est long et pas toujours facile de construire un site, alors que nous sécurisons l’emploi sur notre territoire. Mais je ne veux pas participer à la critique facile qui dirait qu’il faut tout simplifier. Ce n’est pas le meilleur moyen de faire avancer les choses. Et une loi sur la biodiversité ou la protection de l’eau reste un sujet important… »
Là se situe sans doute la réponse finale. Au paradoxe que pose la volonté du gouvernement opposée aux freins du terrain, il faut répondre par le dialogue avec l’ensemble des parties prenantes. Mais aussi, accepter que la biodiversité ou l’eau soit devenue tout aussi importante que l’emploi local ou les bénéfices de l’entreprise. C’est à ce prix que l’industrie du béton se transformera pour relever les défis du futur.
Ouvrir une carrière est un autre type de casse-têtes
Partie intégrante de l’industrie du béton, les carrières sont sur un temps d’exploitation et d’instruction plutôt long. Où les obstacles semblent plus nombreux que pour le reste de l’industrie…
A chaque carrière, sa sensibilité
Organiser la remise en état
Article par dans Béton[s] le Magazine n° 111
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