A Bois-Colombes (92), l’architecture de l’école du quartier des Bruyères étonne. Seul vestige du passé au milieu d’ensembles résidentiels neufs, cet ouvrage en béton armé était auparavant la grande soufflerie de la firme Hispano-Suiza.
Marc Birkight, ingénieur suisse, se passionne très tôt pour la “chose” mécanique. Au tout début du XXe siècle, il construit sa première usine d’automobiles à Barcelone, en Espagne, qui devient la firme Hispano-Suiza. Très vite, l’ingénieur vise la France. En 1911, il achète un terrain à Bois-Colombes (92). C’est le début d’une grande aventure. D’abord avec les automobiles, concurrentes des Rolls-Royce, mais aussi avec les avions.
Pendant la Grande Guerre, Georges Guynemer s’illustre avec son avion, le célèbre Spad de l’Escadrille des Cigognes, équipé d’un moteur canon Hispano-Suiza de 150 ch. C’est à la fin de ce conflit que la cigogne devient l’emblème de la marque.
La paix revenue, l’entreprise se trouve plus que jamais sur le devant de la scène automobile et aéronautique, grâce au succès rencontré, en 1930, par Dieudonné Costes et Maurice Bellonte qui réussissent la première traversée aérienne Paris – New York avec le “Point d’Interrogation”, un avion Breguet équipé d’un moteur Hispano-Suiza de 650 ch.
La plus importante soufflerie privée au monde
Fort de ces succès, Marc Birkight décide de construire une soufflerie aérodynamique, permettant d’effectuer des essais sur le refroidissement des moteurs d’avions. Ce sera la plus importante soufflerie privée au monde.
L’architecture de l’ouvrage, réalisé en voiles de béton armé minces et recouverts d’un enduit, est dictée par la technique. Construite en 1937, elle mesure 55 m de long sur 16 m de large. Cet édifice reprend le principe d’une soufflerie pour modèles réduits réalisée en 1919 par Eiffel, mais à une échelle permettant des essais en grandeur nature.
Le fonctionnement s’appuie sur un collecteur en forme d’entonnoir, qui capte l’air extérieur et l’amène dans la chambre d’expérience où sont placés les modèles à tester. Un diffuseur est chargé de régulariser le flux d’air et de le diriger vers une hélice qui l’évacue à la sortie de la chambre. Une vitesse simulée de 325 km/h est atteinte, grâce à un ventilateur de 16 pales de 8 m de diamètre, entraîné par un puissant moteur électrique.
Cet équipement permet d’accélérer le développement des moteurs destinés à un usage militaire, la Deuxième Guerre mondiale étant imminente.
Magnifier l’architecture
A la fermeture de l’usine, en 1999, se pose alors la sauvegarde de la soufflerie, désaffectée en 1953, mais partie intégrante de la mémoire de la commune. En 2000, sa toiture ainsi que ses façades sont inscrites à l’Inventaire supplémentaire des Monuments Historiques. Il faut alors lui trouver une nouvelle vocation. Ce sera une école communale, nécessaire au nouveau quartier des Bruyères qui s’érige sur l’emplacement de l’usine.
Présenté par Patrice Novarina et Alain Béraud, les architectes lauréats du concours, le projet comprend l’aménagement de quatre classes maternelles, de cinq classes élémentaires, d’un centre de loisirs ainsi que des bureaux pour l’inspection académique.
Les architectes relèvent le défi de faire rentrer des salles de classe dans ces murs. Çà et là, des portions en béton massif d’origine réapparaissent. Deux pans des façades sont supprimés pour laisser émerger le cône de la soufflerie et favoriser l’entrée de la lumière. Une extension de 656 m2 est créée pour accueillir le centre de loisirs. L’édifice obtient le label “Patrimoine du XXe siècle” et le projet est lauréat de la triennale d’Architecture de Sofia en 2006. La cigogne, symbole mythique d’Hispano-Suiza et dénomination de la nouvelle école, renaît de ses cendres et prend un nouvel envol.
Gérard Guérit