L’artiste Tarek Benaoum est en train de terminer une fresque monumentale sur le pignon Sud d’un immeuble social, situé au 109/121 boulevard Mortier, dans le XXe arrondissement, de Paris. Une œuvre calligraphique sur une façade isolée par l’extérieur.
Dès 2016, l’association Art Azoï a été sollicitée par RIVP (l’un des principaux bailleurs sociaux de la Ville) pour programmer et produire une intervention artistique picturale sur le mur d’un immeuble social, situé au 109/121 boulevard Mortier, dans le XXe arrondissement. Cet immeuble vient de bénéficier d’une rénovation importante avec la mise en œuvre d’une isolation par l’extérieur sous enduit. Par son activité et son engagement, Art Azoï nourrit et stimule la réflexion sur la place de l’art dans la ville, les usages et la réappropriation d’espaces dédiés à la création. Elle conçoit et met ainsi en œuvre de nombreuses propositions artistiques. Un travail de présentation des artistes proposés a donc été fait par l’association auprès des habitants de l’immeuble. Ces derniers ont choisi Tarek Benaoum parmi trois artistes pour réaliser la fresque sur le pignon. Celle-ci a été peinte en marge d’un énorme chantier de rénovation de cette barre d’immeubles datant des années 1960, qui domine le boulevard des Maréchaux à l’entrée du quartier Saint-Fargeau. L’œuvre impressionnante et lumineuse de Tarek Benaoum compte désormais parmi les plus grandes fresques de la capitale et représente la plus grande surface jamais peinte par le Street artiste (haute de 40 m, large de 15 m).
Une vision calligraphique
Elle incarne bien le style du Street artiste, qui fait virevolter les mots et les couleurs. « Ici, je me suis inspiré des crop circles1. Pour les adeptes du paranormal, les crop circles qui apparaissent dans les champs de blé seraient l’œuvre d’aliens. Pour les sceptiques, ils seraient d’origine humaine. Pour moi, ils me permettent d’apposer mon propre alphabet, inventé de toute pièce. » A travers un savant jeu d’arabesques, Tarek Benaoum met en exergue la puissance visuelle de ses calligraphies. Cette somptueuse œuvre bleu turquoise dévoile des motifs géométriques inspirés de l’ouvrage “Se libérer du connu” du philosophe indien Jiddu Krishnamurti. « Son message est universel et intemporel. J’ai pris un passage au sujet de l’amour. “Est-ce cela l’amour ?” L’amour entre tous les habitants cosmopolites de cette barre d’immeubles. J’ai toujours habité le XXearrondissement, jusqu’à mes 35 ans, j’aime ce quartier. » Ce jeu de calligraphies dorées et argentées s’étale sur 600 m2.
L’écriture est une œuvre artistique
L’artiste dissimule, comme à son habitude, au milieu de motifs géométriques un texte “indéchiffrable” fait d’une calligraphie inventée, mêlant des caractères latins, berbères, africains, orientaux… Le postulat de Tarek Benaoum est d’utiliser les écritures, la calligraphie et la typographie, en tant que médium décoratif à part entière. L’écriture est une œuvre artistique en tant que telle.
Avant même de réfléchir à l’esthétique, le Street artiste choisit le texte. Il doit toujours entrer en résonnance avec le lieu et ses habitants. La calligraphie arrive ensuite. Le texte est écrit en français, et mot à mot, mais apparaît dans une calligraphie inventée. « Je mélange les styles : gothique, latin, oriental, alien… de façon très spontanée, avec pas mal d’improvisations. Le fait que le message soit crypté interpelle les gens. Il les force à s’arrêter, il propose un temps de réflexion. » Il met toujours un cartel avec le nom de l’œuvre, pour donner une piste aux curieux. Il ne cherche pas à être frontal et immédiat. Sur le plan artistique, mélanger les écritures lui permet de repousser les limites d’une vision académique. Fracture de mots, phrases, citations, textes, poésies… : un univers inspiré se dessine dans des espaces nouveaux. « Il pratique la peinture des mots. » Les mots qu’il utilise sont ceux notre quotidien à tous : amour, violence, bonheur, vie, musique…
Muriel Carbonnet
1Un crop circle ou cercle de culture, ou parfois “agrogramme” ou “agroglyphe”, est un vaste motif ou ensemble de motifs géométriques réalisé dans un champ de céréales par flexion et couchage des épis.