Le travail par temps froid correspond à des critères très précis. Les températures basses impactent le personnel de chantier à plusieurs niveaux. Elles peuvent aussi être incompatibles avec la mise en œuvre d’un certain nombre de produits et systèmes, particulièrement en phase de gros œuvre.
Retrouvez cet article dans Béton[s] le Magazine n° 78
En théorie, la notion de travail par temps froid est bien définie. La température lors des périodes de travail doit être inférieure ou égale à 5 °C. Pour entrer dans un dispositif de pénibilité, ces conditions doivent, en cumulé, atteindre 900 h/an.
Il y a néanmoins une marche, sinon plusieurs, entre la théorie et la réalité. A commencer par la température perçue. Celle ci peut varier en fonction de l’intensité du vent, de l’exposition, de l’ensoleillement, mais aussi du type de travaux à exécuter. A titre d’exemple, même à la limite des 5 °C, certains travaux de précision ou de finition deviennent délicats à effectuer avec des mains plus ou moins engourdies. Il faut ajouter aux contraintes physiques celles liées aux matériaux. Environ 5 °C dans la journée peuvent se traduire par des températures négatives la nuit. Et rendre ainsi impossible la mise en œuvre d’enduits, de ragréages, voire de certains bétons… qui risquent d’être atteints par le gel avant d’avoir fait leur prise.
Pour toutes ces raisons, on considère que des mesures doivent être envisagées, dès lors que les températures se maintiennent durablement en dessous de 10 °C. Le Code du travail, s’il ne donne aucune indication de température qui puisse être qualifiée de “froide”, prévoit, au travers de l’article R 4223-15, que des mesures doivent être prises. Et cela en accord avec le CHSCT et le médecin du travail. Cet article stipule que l’employeur “doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer la protection des travailleurs contre le froid et les intempéries”. Tout en étant très généraliste, cet article vise simplement à faire preuve de logique et de pragmatisme.
Des risques à géométrie variable
Le travail par temps froid peut venir à bout des mécanismes de régulation naturelle du corps humain, et générer des troubles plus ou moins graves. Ces troubles n’apparaissent pas de la même façon en fonction de l’âge, de l’état de santé, de la fatigue et de la dépense physique nécessaire à la réalisation d’une tâche donnée. Ces risques de troubles éventuels sont également des causes d’accidents, d’erreurs de jugement, d’erreurs techniques… Et doivent être pour cela perçus en amont. Quatre pathologies principales sont liées à l’exposition au froid : l’hypothermie, les engelures, les troubles musculo-squelettiques (TMS) et, enfin, le syndrome de Raynaud, qui touche les extrémités des doigts (mains et pieds). L’hypothermie est consécutive à un dérèglement des mécanismes naturels de régulation des échanges thermiques. Dans le cas d’une exposition sévère au froid, on constate alors une dépression progressive de tous les systèmes organiques. Cela se traduit par des frissons, une pâleur importante, une tension artérielle en hausse, des difficultés dans l’élocution, et des pertes de conscience, voire des comas, dans les cas les plus extrêmes. Les engelures sont à considérer comme le premier degré des gelures, d’où l’importance de se protéger de leur apparition. Des engelures non traitées peuvent amener à une nécrose irréversible des tissus. Plus globalement, des douleurs d’intensité variable peuvent aussi être le signe de gelures et/ou d’hypothermie à venir. Il existe un lien avéré entre les TMS et les situations de travail exposées de façon plus ou moins régulière au froid. Les mouvements répétitifs, les vibrations, les postures extrêmes, l’absence d’ergonomie dans les postes de travail… sont des causes naturelles de TMS, qui sont amplifiées dans des conditions de travail par temps froid. Enfin, le syndrome de Raynaud se traduit par une réduction des artérioles de mains et des orteils, lorsqu’ils sont exposés au froid. Cela se traduit par une réduction de la circulation sanguine, des douleurs et des cyanoses localisées.
Adapter les horaires et les postes de travail
Le premier moyen de protéger le personnel consiste à limiter au maximum son exposition au froid. Ce principe de base implique d’adapter en particulier les postes de travail. Mais aussi de mener une réflexion sur l’organisation du chantier, par exemple en privilégiant tout au long de la journée les interventions en zones ensoleillées, en évitant les expositions aux vents forts... Ces situations poussent à transférer tout ce qui peut l’être vers l’atelier, de s’orienter vers des solutions techniques, qui limitent les interventions en extérieur. Par exemple, en remplaçant le coulage du béton en place par des techniques de préfabrication. L’organisation des postes de travail consiste aussi à éviter les déplacements sur la neige ou sur les surfaces gelées, sources de chutes, de fractures et de traumatismes divers. Ces choix, qui ne s’improvisent pas, nécessitent des réflexions fortes en amont de la part de tous les acteurs du chantier, du maître d’ouvrage aux différentes entreprises en passant par le coordonnateur SPS. Les décisions à prendre, susceptibles d’impacter l’organisation d’un chantier sur plusieurs semaines, doivent être prises (ou non) en fonction des données météo de la région, de l’historique du climat local sur plusieurs années, et des probabilités susceptibles d’entraver le fonctionnement normal d’un chantier. Les professionnels de santé recommandent d’éviter les activités physiques trop intenses, ce qui doit se traduire, entre autres, par une limitation des manutentions manuelles et par une optimisation de la mécanisation des différentes tâches.
L’importance des équipements et de l’alimentation
Des vêtements et des protections adaptés s’imposent dans ces situations. Il faut s’habiller chaudement, tout en conservant une liberté normale de mouvements, et pas de n’importe quelle façon. Il importe de privilégier une succession de couches minces. De nombreux textiles très élaborés permettent la conservation de la chaleur, tout en assurant l’évacuation de la sueur, le tout contenu dans des épaisseurs évitant d’entraver les mouvements nécessaires à une activité normale. Les préventeurs insistent sur la nécessité absolue de protéger les extrémités, c’est-à-dire la tête, les mains et les pieds. Pour la tête, le port d’un bonnet en fibres polaires adapté au casque s’impose. Pour les mains, des gants, voire des moufles si elles ne gênent pas dans l’exercice des opérations à réaliser, et pour les pieds, des chaussettes en laine sont des choix logiques. La qualité de l’alimentation est prépondérante en périodes de froid. Les grands chantiers sont toujours équipés de réfectoires et de moyens permettant de faire des repas chauds. Sur les chantiers plus petits et/ou de courte durée, de plus en plus d’entreprises imposent la prise de repas dans des restaurants, seul moyen de garantir une vraie coupure au chaud au milieu de la journée, et la prise de repas copieux, chauds et équilibrés. La journée doit débuter par un petit déjeuner sérieux : fruits, boissons chaudes, céréales, pain, beurre… De même, avoir sur soi des barres de céréales est conseillé. Entre les repas, les personnels de chantier doivent pouvoir se procurer des boissons chaudes, à intervalles réguliers.
Gérard Guérit