Comment valoriser le dioxyde de carbone pour aller vers une société industrialisée plus verte ? Une équipe de l’Ircelyon1, laboratoire CNRS à Villeurbanne, a mis au point de nouveaux types de solides hybrides capables de transformer le CO2 grâce à la lumière du soleil...
Article paru dans Béton[s] le Magazine n° 91
I – Que faire du CO2 ?
Le Green Deal européen fixe un objectif de réduction ambitieux de 50 à 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Alors que les villes n’occupent que 2 % de la surface terrestre, elles consomment plus de 65 % de l’énergie mondiale. Et représentent plus de 70 % des émissions de CO2 d’origine humaine. Plusieurs voies différentes, mais pas incompatibles, s’offrent alors : produire moins de CO2, le capturer. Ou en faire une source de carbone pour l’industrie chimique et l’énergie.
Notre société industrialisée s’évertue, d’ores et déjà, à produire moins de CO2 dans son industrie et ses déplacements. Par ailleurs, la séquestration du CO2 est une solution attrayante, avec des technologies de capture déjà éprouvées. Mais qui pose la question du devenir à long terme du gaz après sa capture…
Le défi majeur reste donc de convertir durablement les émissions de CO2 des processus industriels en carburants synthétiques et produits chimique. En utilisant des procédés axés sur les énergies renouvelables. Cela aurait le potentiel de réduire de plus de 50 % les 370 Mt actuelles d’émissions de CO2 par an liées à l’industrie chimique !
II – Pourquoi et comment transformer le CO2 ?
La conversion du dioxyde de carbone en produits à valeur ajoutée comme des produits chimiques ou des carburants est une réaction cruciale pour lutter contre le réchauffement climatique. Cela en plus de la production durable d’énergie.
Du fait de l’inertie de ce gaz, d’importantes barrières énergétiques doivent être franchies pour activer ses molécules, afin de les rendre réactives.
C’est là que la catalyse joue un rôle pivot, en permettant d’effectuer l’activation de la molécule de CO2 grâce à des espèces actives – les catalyseurs – afin de la faire réagir avec une autre molécule partenaire. Les catalyseurs ne sont eux-mêmes pas transformés par la réaction. Et un seul d’entre eux peut convertir des milliers de molécules cibles.
Les principales approches utilisées pour convertir le CO2 comprennent la catalyse chimique/thermique, l’électro-catalyse et la photocatalyse.
De nombreux produits peuvent ainsi être formés par réduction du CO2. Ces derniers comprennent principalement du monoxyde de carbone, du formaldéhyde, de l’acide formique (HCOOH), du méthanol et du méthane. Mais peuvent aussi se former de l’éthanol et d’autres, en fonction des paramètres de la réaction chimique et, en particulier, du nombre d’électrons mis en jeu.
La principale limite de la catalyse thermique est son coût énergétique global. Concernant l’électro-catalyse, l’accès à l’électricité verte (hydraulique, éolien, photovoltaïque) rend ce procédé très attractif. Mais encore ici le bilan énergétique global doit être favorable à l’utilisation de l’électricité pour effectuer des transformations chimiques (synthèse électrochimique de carburants) plutôt qu’à son utilisation directe (moteurs électriques). Reste que le principal avantage de la réduction du CO2 est la production de carburants liquides transportables plus efficaces que les batteries, qui sont de surcroît gourmandes en métaux rares.
En termes d’énergie verte, l’acide formique (HCOOH) produit par réduction du CO2 peut servir de carburant à des piles à combustible comme celles récemment mises au point par des chercheurs suisses de l’EPFL2. Certes, ces piles rejettent du CO2 dans l’atmosphère, mais celui-ci peut être reconverti en carburant, faisant que cette technologie est neutre en carbone.
III – La photocatalyse comme solution verte ?
En termes de durabilité et d’efficacité énergétique, des transformations chimiques uniquement activées par la lumière semblent être la panacée. Dans ce contexte, la photocatalyse met en jeu des procédés photo-physiques – activés par la lumière, qui rendent une espèce active – et lui permet de transformer des molécules cibles. Typiquement, dans des systèmes à plusieurs composants, c’est le rôle du photo-sensibilisateur de transformer l’énergie lumineuse en énergie chimique, permettant au catalyseur de fonctionner. Ces deux espèces peuvent être distinctes ou faire partie du même composé.
Dans le cas de la réduction CO2, des études ont montré une limitation de la durée de vie des photo-sensibilisateurs les plus utilisés – à base de métaux de transition comme le ruthénium – et donc du système photocatalytique complet à quelques heures.
Menée par Jérôme Canivet, une équipe de l’Ircelyon a mis au point des solides de type polymères organiques poreux, dont les unités de construction sont capables à la fois de capter la lumière visible (photo-sensibilisateur) et de transformer le CO2 (catalyseur). La structuration de ces deux unités dans un même solide photocatalytique a permis d’atteindre des productivités inédites pour la réduction du CO2 en formiate (forme basique de l’acide formique (HCOOH). C’est le squelette du polymère poreux qui est directement activé par la lumière. Afin de générer des électrons qui sont ensuite transmis à un catalyseur au rhodium, ancré dans le solide, qui réalise la réduction du CO2.
La production de formiate a lieu sous un flux de CO2 d’une atmosphère dans un solvant, utilisant la lumière du soleil comme seule source d’énergie et sans perte d’activité pendant au moins 4 j. Ainsi 3 g de CO2 ont pu être convertis en un peu plus de 3 g de formiate par gramme de polymère photocatalytique sans apport extérieur d’énergie autre que la lumière visible.
Pour comparaison, la capacité théorique de fixation du CO2 par l’ammoniaque est de 2,6 g de CO2 par gramme d’ammoniaque à température ambiante et sous une atmosphère de CO2. De même, des solides poreux comme des zéolithes ou des métal- organique frameworks (solide poreux mi-organiques mi-inorganiques) peuvent capturer entre 0,2 et 0,4 g de CO2 par gramme de solide.
Ces travaux de photo-réduction du CO2, réalisés au laboratoire par Florian Wisser, ont été encouragés par le CNRS via le programme d’excellence Momentum, dont il a été récipiendaire en 2018. Le procédé a été validé à l’échelle du laboratoire sur quelques grammes et étudié en détail. En collaboration avec le Lasir, à Lille, et le Collège de France, à Paris, afin de comprendre les mécanismes physiques et chimiques mis en jeu.
Le passage à l’échelle pilote de cette technologie reste possible grâce à des partenariats. Comme celui passé avec la plate-forme d’innovation collaborative lyonnaise Axel’One3 pour la synthèse à grande échelle de ces matériaux photo-catalytiques. Cependant, il faut garder à l’esprit que d’autres composés polluants sont présents dans les fumées. Et dont on ignore encore l’action sur le système catalytique. Par ailleurs, l’utilisation d’une molécule organique donneuse d’électrons indispensable à la réaction photocatalytique reste le verrou principal à une utilisation à grande échelle.
C’est pourquoi l’équipe de chercheurs travaille aujourd’hui à coupler au sein de ces solides inédits deux réactions pour éviter l’usage de la molécule sacrificielle. La mise en forme des polymères photo-catalytiques en films minces permettra d’optimiser la capture de la lumière et du CO2.
1Institut de recherches sur la catalyse et l’environnement de Lyon (www.ircelyon.univ-lyon1.fr/)
2Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (https://actu.epfl.ch/news/une-pile-a-combustible-a-base-d-acide-formique/)
3https://axel-one.com/
Jérôme Canivet
Chargé de recherche CNRS