Violence économique dans la négociation ou l’exécution d’un contrat

Muriel Carbonnet
21/09/2024
Modifié le 23/10/2024 à 12:11

Imposer des conditions contractuelles inéquitables ou faire accepter des termes défavorables constitue ce qu’on appelle une violence économique. Explications avec Pierre Lacoin, avocat à la Cour et co-fondateur du cabinet 1792 Avocats.

Article paru dans Béton[s] le Magazine n° 114.

La violence économique peut être sanctionnée par les tribunaux...
[©ACPresse]
La violence économique peut être sanctionnée par les tribunaux… [©ACPresse]

I – Définition et manifestations de la violence économique

La violence économique se réfère à une situation où une partie utilise son pouvoir économique pour imposer des conditions contractuelles inéquitables. Ou pour contraindre l’autre partie à accepter des termes défavorables.

1 – Au stade des négociations, la violence économique prend souvent plusieurs formes :

• Chantage économique

Une partie peut menacer de cesser toute relation commerciale ou de ne pas conclure un contrat. A moins que l’autre partie n’accepte des conditions désavantageuses.

• Exploitation de la dépendance économique

Lorsqu’une entreprise est en position de (quasi-)monopole, elle peut imposer des conditions contractuelles déraisonnables à une entreprise dépendante.

• Pratiques abusives du type de la grande distribution

Certaines enseignes peuvent exiger des rabais démesurés ou des délais de paiement excessivement longs.

2 – Au stade de l’exécution du contrat, elle prend plutôt les formes suivantes :

• Modification unilatérale des conditions contractuelles

Une partie peut imposer des changements sans consultation ni consentement de l’autre partie, exploitant sa position dominante.

• Retards de paiement

Utiliser des délais de paiement comme levier pour obtenir des concessions supplémentaires de la part de l’autre partie.

• Annulation abusive de commandes

Cela peut plonger l’autre partie dans des difficultés financières considérables. Surtout si elle a investi des ressources importantes en prévision de la commande.

II – Sanctions vis-à-vis de la violence économique

Le Code civil connaît trois causes viciant le consentement, empêchant ainsi la rencontre pleine et entière des volontés. Etentraînant in fine la nullité de la convention : l’erreur, le dol (la tromperie) et la violence.

En ce qui concerne cette dernière cause en particulier, il énonce qu’il y a violence :

“lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune. Ou celles de ses proches à un mal considérable ” (article 1140),

“lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif” (article 1143).

C’est sur cette disposition interprétative que se fondent les tribunaux pour condamner les pratiques de violence économique. Rappelons néanmoins que le Code civil énonce aussi que “les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi” (article 1104).

De même et de façon plus spécifique, le Code de commerce réprime les pratiques restrictives de concurrence. Telles que l’abus de dépendance économique. Et sanctionne le fait :

• D’obtenir ou de tenter d’obtenir de l’autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné ;
• De soumettre ou de tenter de soumettre l’autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif ;
• D’imposer certaines pénalités logistiques ;• De pratiquer ou d’obtenir des prix, des délais de paiement, des conditions ou des modalités de vente ou d’achat discriminatoires (article L442-1).

En fonction des faits, mais surtout de l’objectif recherché (rupture du contrat, d’un avenant ou condamnation à des dommages-intérêts). Il est ainsi intéressant de choisir le fondement juridique de son action.

Toute partie lésée sera ainsi invitée à privilégier les articles 1140 et 1143 du Code civil dans le cas où elle souhaiterait faire mettre un terme à la convention. Mais aussi, les articles du Code de commerce et l’article 1104 du Code civil. Si elle souhaite le paiement de dommages-intérêts.

Le renforcement des réglementations et incitations par les différentes autorités de régulation et de concurrence. Comme l’admission des re-négociations pour imprévision en droit français, tendent aujourd’hui à apaiser ce genre de pratiques. Toutefois, il est bon d’accompagner cette évolution en faisant stipuler aux contrats des clauses de médiation ou de re-négociation.

Enfin, il peut être utile de rappeler que la menace d’une voie de droit ne constitue pas, au sens juridique, une violence.

Pierre Lacoin
1792 Avocats
Avocat à la Cour

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Article paru dans Béton[s] le Magazine n° 114.