Des eaux chargées issus du recyclage des bétons se sont déversées dans la Seine, à Paris, depuis la centrale Lafarge France de Bercy. Acte volontaire, pour les uns, acte de malveillance, selon l’industriel.
En exclusivité, Europe 1 a révélé une pollution de la Seine, à Paris, par le groupe cimentier LafargeHolcim. Celle-ci a même été qualifiée de « Clairement volontaire ». Une accusation lancée par Jacques Lemoine, agent de développement de l’Association agréée de pêche et de protection du milieu aquatique (Aappma). De son côté, Lafarge France dément cette accusation. Et indique, dans un communiqué de presse daté du 1er septembre, « être victime d’une détérioration délibérée d’une plaque d’étanchéité ».
Entre temps, Europe 1 a lancé une nouvelle salve. La station de radio a révélé qu’une seconde pollution existait au niveau de la centrale à béton du pont Mirabeau… Ce sont les membres d’une association de riverains, qui ont constaté les faits. « J’ai vu plusieurs fois des camions Lafarge déverser un liquide blanchâtre. Celui-ci ressemblait à des eaux usées, directement dans la Seine », a raconté Maryse Fourcade, vice-présidente de l’association, au micro d’Europe 1. Et le site de la radio a publié des photos montrant les faits…
« LafargeHolcim est conscient de ses obligations en matière d’environnement. Et déterminé à protéger l’environnement dans les pays où il exerce ses activités. Il a toujours fermement condamné ces pratiques interdites par ses standards de production », répond en retour le groupe cimentier. Ceci, à propos de ce rejet d’eau de lavage dans la Seine. Et de poursuivre : « LafargeHolcim a immédiatement décidé de lancer une enquête interne, afin de faire la lumière sur ces possibles agissements. Dans les prochains jours, l’ensemble du personnel de nos sites parisiens fera à nouveau l’objet d’un rappel des bonnes pratiques. Et du caractère impératif du respect des règles environnementales. »
Un « flagrant délit de pollution environnementale »
La pollution environnementale initiale s’est déroulée dans la centrale à béton Lafarge France. Une unité implantée sur la rive droite de la Seine, à côté de l’AccorHotels Arena, à Paris. Elle concerne le tout dernier bassin de décantation des eaux de process et de lavage des toupies.
C’est à ce niveau qu’est constatée la fuite, « qui a entraîné un léger écoulement temporaire d’eau recyclée dans la Seine », précise le communiqué. Dans le cas présent, cette eau comportait des micro-fibres synthétiques. Mais Lafarge souligne aussi que, « aussitôt détecté, cet écoulement a été stoppé. Et des travaux de réparation immédiats ont été engagés ». Ces affirmations sont loin d’avoir convaincus, tant l’Aappma que les élus locaux.
Dans le journal 20 Minutes, Guillaume Durand, co-responsable de EELV Paris, parle d’un « flagrant délit de pollution environnementale, qui pourrait porter atteinte à la santé des citoyennes et citoyens de Paris ». Et quant à Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la mairie de Paris, il indique sur son compte Twitter, « découvrir avec stupeur cette pollution lente qui empoisonne notre fleuve. Des explications s’imposent de la part du gestionnaire du site et une plainte sera déposée… »
Un traitement des eaux en circuit fermé
Pour mémoire, le traitement des eaux de process du cycle de production des bétons est aujourd’hui une obligation. Les bétonniers s’y plient, mettant en place des dispositifs dédiés. Sur le site de la centrale à béton Lafarge France de Bercy, ce traitement est réalisé en circuit strictement fermé. Et se fait au sein d’une série de bassins de décantation. Les toupies déversent leurs eaux chargées, issues du nettoyage des cuves, dans le premier bassin. Puis, celles-ci passent ensuite de bassins en bassins.
Les eaux claires se concentrent dans le dernier bassin, là où la fuite a été constatée. Eaux réintroduites dans le process de production de bétons neufs. Ou employées pour de nouvelles opérations de nettoyage. Quant aux résidus (graviers, boue cimentaire), ils sont extraits, de manière régulière, du premier bassin. Et évacués vers un centre de traitement certifié pour recyclage et valorisation. La pollution constatée ne concerne pas ces résidus.
Lafarge France va déposer plainte
Dans ce contexte, Lafarge a déclaré au Figaro, « comprendre l’émotion que suscite cet incident à la centrale à béton de Bercy […] » Et de poursuivre : « Il est faux d’accuser notre entreprise de rejets, qui pourraient être volontaires ». De fait, le groupe cimentier a choisi de déposer plainte, lui aussi, pour faire toute la lumière sur cette affaire. Comme tous les autres équipements du groupe LafargeHolcim en France, la centrale à béton de Bercy répond à toutes les exigences environnementales en vigueur.
Toutefois, suite à cet incident, l’industriel va mettre en place des actions de contrôle renforcées sur ses unités de production. Concernant le site de Bercy, il va mettre en œuvre une solution de sécurisation supplémentaire du circuit de recyclage des eaux. Et ce, dès les prochains jours…
Ces actions n’ont pas pour autant calmé le jeu. Ainsi, Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique, a annoncé que tous les sites du cimentier Lafarge situés en bord de Seine en Ile-de-France seront contrôlés. Et qu’une enquête a été ouverte pour suspicion de pollution du fleuve. La Mairie de Paris a demandé la saisine du procureur de la République pour un constat d’infraction pénale et une enquête préliminaire. Les choses semblent même être allées un peu plus loin. Puisque la même Mairie de Paris accuse aussi Haropa Ports de Paris de ne pas avoir rempli son devoir de contrôle… Cet organisme est en charge de l’aménagement de l’entretien et de l’exploitation des installations portuaires en Ile-de-France. Contacté par ACPresse, Haropa Ports de Paris n’a pour l’heure pas donné suite à cette demande.
Vinci condamné pour une pollution similaire
Il y a un peu plus d’un an – en avril 2019 -, le groupe de BTP Vinci a été confronté à la même mésaventure. A savoir, l’épanchement de béton dans le Seine, à Nanterre (92). C’est l’Aappma qui avait déjà lancée l’alerte à l’époque. Après enquête en interne, il s’est avéré qu’il s’agissait d’eau grise chargée en sable et comportant des traces de ciment désactivé. Moins de 5 m3 en totalité, ayant couvert environ 20 m2 de surface dans le lit de la Seine. Donc, bien loin de la catastrophe annoncée de prime abord dans les médias… Vinci s’est engagé à remettre en l’état la zone polluée. Toutefois, cela n’a pas empêché le groupe Vinci d’écoper d’une amende de 50 000 € (plus 40 000 € avec sursis) !
Article mis à jour le 3 septembre 2020.