Carlo Sarrabezolles (1888-1971), sculpteur toulousain, reste peu connu du grand public. Pourtant, ses œuvres sont partout. Mais surtout, il inventa en 1926 la sculpture par taille directe du béton en prise.
La sculpture sur béton en cours de prise a permis à Carlo Sarrabezolles la réalisation d’importants ensembles de statues colossales intimement liées à la structure architecturale : église de Villemomble (1926), église d’Elisabethville (1928), église Saint-Louis de Marseille (1935), mais aussi la Gloire de la Seine, à Paris. Sans doute, son œuvre la plus visible et que tout un chacun peut contempler en levant la tête lorsqu’il traverse le Pont Neuf.
Cette maîtrise du béton ne doit pas faire oublier que Carlo Sarrabezolles fut aussi un sculpteur classique sur pierre. Portraitiste puissant, il modela et sculpta nombre de portraits de personnalités, en buste ou en médaillon. Sur la fin de sa vie, il restaurera les figures sculptées par David d’Angers au fronton du Panthéon et collabora de longues années avec des architectes de renom.
La quadrature du cercle
L’entre-deux-guerres sera une période prolixe en constructions de toutes natures. Les techniques évoluent, mais le statuaire est encore très présent et véhicule souvent des images fortes, dans une France conquise par les multiples progrès de la science. Pourtant, la sculpture coûte cher et la crise économique de 1929 fait que les maîtres d’ouvrage cherchent à construire plus économique, sans pour autant renoncer aux façades ouvragées. Avec la mise au point de la sculpture sur béton en phase de prise, Carlo Sarrabezolles va résoudre la quadrature du cercle : réaliser des façades ouvragées économiques.
Son ami et architecte Paul Tournon va l’aider à traduire en taille réelle une idée qui avait germé à l’occasion de moulages en plâtre. La paroisse de Villemomble, près de Paris, n’était pas très riche, mais souhaitait édifier au-dessus de l’église, datant d’une cinquantaine d’années, une tour dont les figures de saints couronneraient le sommet. L’idée de sculpter dans un béton encore frais prend forme. Après plusieurs tâtonnements sur des maquettes, Carlo Sarrabezolles s’aperçoit qu’après douze heures de prise, le béton peut être travaillé.
La course contre la montre
La méthode implique une organisation et un outillage adaptés. Malgré une réflexion très en amont, les débuts du chantier ne se passent pas comme prévu. Les dessins préparatoires que l’artiste doit recopier sur le béton pour gagner du temps… lui en font perdre. Il doit tailler directement, sans repères dans la matière. De plus, le chantier a débuté au mois d’août, dans une période de forte chaleur. Il faut aller très vite. L’artiste arrive à réaliser ce qu’il a prévu, au prix de journées harassantes. Trois mois plus tard, le chantier est achevé : quatre séraphins, vingt personnages de 7 m de hauteur, l’aigle, le lion, le taureau, l’ange et les nombreuses inscriptions sont là.
Le chantier de Villemomble a ouvert la voie. Il démontre la faisabilité technico-économique de la méthode. Pendant dix ans, Carlo Sarrabezolles va sculpter le béton frais. Il va engranger nombre de commandes pour des bâtiments publics et privés : hôtel de ville de Lille, faculté de médecine de Paris, immeuble de la rue de Nevers, face au Pont Neuf, Palais de Chaillot, etc. Après guerre, Carlo Sarrabezoles sera toujours très prolifique. Il ne s’arrêtera en fait jamais, livrant encore des œuvres d’importance et prodiguant jusqu’au soir de sa vie des conseils aux plus jeunes.
Gérard Guérit
1La plupart des informations nécessaires à la réalisation de cet article proviennent du livre réalisé par Geneviève Sarrabezolles-Appert, fille du sculpteur, et Marie-Odile Lefèvre (Editions Somogy).