Oscar Niemeyer s’est éteint mercredi 5 décembre 2012 de problèmes de déshydratation liés à une grippe. L’architecte brésilien laisse derrière lui une œuvre immense essaimée au Brésil, son pays de naissance, en France, sa patrie d’exil, et dans le reste du monde, son terrain d’inspiration. Il nous quitte comme l’ombre d’un ami que l’on croyait éternel et qui a influencé les pas de notre monde, de notre architecture.
Oscar Ribeiro de Almeida de Niemeyer Soares est né un matin de décembre 1907 à Rio de Janeiro, avec une grand-mère allemande et un grand-père arabe inscrits sur son arbre généalogique. Malgré ses ancêtres “exotiques”, qu’il ne renie pas, Niemeyer est brésilien jusqu’au bout des ongles. Assez pour déclarer très sérieusement : « ce n’est pas l’angle qui m’attire. Ni la ligne droite, dure, inflexible. Ce qui m’attire, c’est la courbe sensuelle que l’on trouve dans le corps de la femme parfaite ». Oscar est surtout de la race de ceux qui laissent une trace dans l’histoire, dans notre mémoire collective. Assez pour le tutoyer et l’appeler par son prénom. Comme un vieil ami.
Ses influences tropicalisées
Dans le cœur des Brésiliens, et dans l’identité populaire du monde, il est et restera celui qui a dessiné les bâtiments de Brasilia, la capitale nouvelle du Brésil, pays qui se déchirait jusque-là entre São Paulo, la travailleuse, et Rio de Janeiro, la fêtarde. Niemeyer a offert aux auriverde Brasilia, la moderne. C’est le président Juscelino Kubitschek qui lui confie le bébé, fer de lance d’un programme résumé en un slogan “50 ans de progrès en 5 ans”. Une idée solide, venant d’un garçon qui a échappé à un coup d’Etat hourdi, pêle-mêle, par l’armée, l’UDN (parti d’opposition) et les conservateurs-propriétaires terriens. Oscar se met donc au croquis et dessine quelque trente bâtiments/monuments pendant que son ami Lucio Costa travaille sur le réseau urbain. Résultat de l’attelage, le Brésil a une nouvelle capitale, à l’époque à la pointe du modernisme, Brasilia sera classé à l’Unesco et Oscar recevra en 1988 le prix Pritzker. Au passage, Oscar inspire un mouvement qui, plus tard, accéléra la mise à bas de la dictature des militaires (1964-1985). Jorge Ben Jor et Gilberto Gil, guitares à la main créent un mouvement artistique appelé Tropicalisme, en réaction au nationalisme culturel de la dictature. Leur musique se veut universelle, mais teintée de leurs racines, le mouvement devient contestation et des cinéastes comme Glauber Rocha (“Le Dieu noir et le Diable blond”) ou le footballeur Socrates et la sélection brésilienne s’en réclameront. Tous voient en Brasilia la synthèse entre l’ouverture au monde et la culture brésilienne. Oscar ne renie rien : « j’ai Tropicalisé ce que j’avais appris du maître ». Comprenez, “j’ai fait du Le Corbusier sauce carioca”.
Le Corbusier, la chtouille et Fidel Castro
Le maître en question c’est, en effet, Le Corbusier qu’Oscar rencontre en 1936 alors qu’il travaille comme élève de Lucio Costa sur le futur palais de la Culture de Rio. Au contact du Franco-Suisse, Niemeyer apprend le mouvement moderne et ses lignes géométriques pures. Ils travailleront ensemble sur le projet du siège de Nations Unies à New York, construit en 1947. Aux formes directes de Le Corbusier, Oscar a ajouté les courbes, qu’il dit être inspiré par les femmes, mais qui sont directement issues de l’influence culturelle de Rio. Les Brésiliens appellent ça “la bohème carioca”, faite de nostalgie, de liberté et des plaisirs de la vie. Dans le genre, Oscar se vantait d’avoir eu sa première blennorragie à 14 ans (la chtouille, oui). Dernier élément d’influence dans le trait du brésilien, le socialisme. Oscar adhère au Parti communiste en 1945 et s’exilera à Paris en 1967 pour non-conformité de ses idées avec celles du régime des militaires. Fidel Castro dira même un jour : « Oscar Niemeyer et moi sommes les deux derniers communistes de cette planète ». De la bohème carioca, une pincée de socialisme dans un moule du mouvement modernisme, voilà Oscar Niemeyer. Evidemment, ne respectant pas vraiment les règles architecturales des autres, il n’a pas vraiment respecté les siennes, insistant successivement sur l’un ou l’autre des leviers de son art. Trois œuvres sont emblématiques de ces trois courants qui se battaient et se mélangeaient dans le cerveau fécond de l’architecte. Brasilia et, plus particulièrement, son Congrès national sont de dignes héritiers de Le Corbusier. Le siège du PCF à Paris tient de l’architecture socialiste. Alors que le Sambodrome de Rio de Janeiro est le cœur vivant de la culture carioca.
Trois facettes, comme autant d’inspirations
Première de ces trois œuvres, Brasilia est le chef d’œuvre d’Oscar, celui pour lequel il restera à jamais dans les livres d’histoire. C’est une œuvre monumentale rendue possible par l’amitié liant Oscar à Lucio Costa l’urbaniste et Juscelino Kubitschek, président novateur. Le Congrès national, pièce majeure de l’œuvre, est du plus pur style Le Corbusier : un mélange de lignes droites et de courbes à la géométrie logique. Deux tours parfaitement rectangulaires se répondent sur une esplanade où sont aussi implantées deux demi-coupoles l’une ouverte vers le ciel, l’autre fermée sur l’esplanade. Le béton y est utilisé sous ses formes brutes comme dans le blanc très apprécié par Niemeyer. Et même si Oscar trouvait que “sa” capitale avait très mal vieilli, elle reste aujourd’hui comme une référence de l’architecture moderne.
Le siège du PCF à Paris sent, lui, évidemment beaucoup plus le socialisme. Volontairement assimilable à une forteresse interdite par ses couleurs, l’édifice n’en reste pas moins ostentatoire par sa coupole trônant au-dessus de la salle du conseil du comité central et par son indifférence de la topographie parisienne.
Ostentatoire, le Sambodrome de Rio l’est aussi, et c’est le but. L’une des dernières œuvres majeures d’Oscar est peut-être l’une de ses plus personnelles. Théâtre du célèbre carnaval de la ville, les lignes courbes du stade sont inspirées de ce fameux rendez-vous festif annuel. Oscar, et son double pécheur résidant en lui, ne pouvaient passer à côté du peuple torride qui arpente le Sambodrome, de la boisson, de la samba et des plaisirs de la chaire qui habitent le carnaval. Oscar ne pouvait pas ne pas être purement carioca pour ce projet-là.
C’est ces trois mêmes facettes d’un même homme qui s’en est allé avec la disparition d’Oscar, laissant derrière lui plus de 600 bâtiments et autant d’hommages au béton, à la femme, à la fête et à la courbe. Adeus, ô arquiteto.
Yann Butillon