La Fronde a marqué l’histoire de France. Une réaction face à la montée monarchique, renforcée par la fermeté de Richelieu. Pour certains industriels, les annonces du gouvernement autour de la RE 2020 soulèvent les mêmes indignations...
Au moins, le gouvernement semble faire l’unanimité… contre lui ! Les annonces faites par les ministres Barbara Pompili et Emmanuelle Wargon, autour de la Réglementation environnementale 2020, ont fait pleuvoir les communiqués de presse. “Le gouvernement marche sur la tête !” titre sobrement la Fédération française des constructeurs de maisons individuelles (FFC). La Fédération de la promotion immobilière (FPI) parle “d’un pari risqué en temps de crise”.
Quant aux industriels des Filières Béton, des isolants en laines minérales manufacturées (Filmm), de la terre cuite (FFTB) et de la construction métallique (SFCM), ils “dénoncent les modifications de la comptabilisation du carbone”. Avis partagé par l’AIMCC (Association française des industriels des productions de construction). Qui souligne que « les annonces récentes […] laissent craindre que l’orientation prise ne conduise à imposer un moyen, c’est-à-dire le recours à certains matériaux et modes constructifs. Ceci, en s’appuyant sur des modes de calcul de l’impact environnemental contestés par les experts ». Alors même que la sobriété énergétique se trouve renforcée, avec le coefficient Bbio. Et que la prise en compte du confort d’été constitue une avancée vers une performance accrue des enveloppes.
Remettre à plus tard les émissions de carbone
Les modes de calcul en question ne sont autres que la très polémique “Analyse de vie dynamique simplifiée”. Pour faire court, celle-ci semble pénaliser les matériaux qui libèrent l’essentiel de leurs émissions de carbone au début de leur cycle de vie. Et minorer voire annuler, en parallèle, les émissions futures, c’est-à-dire en fin de cycle, au moment de la déconstruction. Sachant qu’un horizon limité à 100 ans a été retenu pour calculer les émissions d’un bâtiment. Autrement dit, au-delà d’un siècle, les émissions ne sont plus prises en compte… Une manière peu élégante de transmettre aux prochaines générations la responsabilité de la gestion des émissions de gaz à effet de serre… Est-ce à dire que le défi climatique s’arrête en 2120 ? Que le carbone émis après 100 ans n’aura aucune nocivité ? Et le développement durable dans tout ça ? Et quid de l’économie circulaire, pourtant portée par le même ministère de la Transition écologique ? Dans ce contexte, l’intérêt du développement de filière de recyclage et de valorisation de matériaux de construction deviendrait plus que relatif ! En tout cas, c’est ce que prédisent les professionnels des secteurs concernés.
Le béton bas carbone sera encouragé
Le bois et les matériaux dits “biosourcés” sont donc en passe de devenir la solution pour construire moins carboné. A court terme, c’est sans doute vrai. D’ailleurs,« le gouvernement compte soutenir ces filières », ont confirmé les ministres, durant leur conférence du 24 novembre dernier. Toutefois, sans fermer la porte aux autres solutions constructives, comme le détaille le dossier de presse du ministère de la Transition écologique. « De fortes incitations sont données pour faire progresser les autres matériaux, techniques et équipements de construction. L’innovation, en termes de mixité́ des matériaux, tels que les constructions mêlant bois et béton par exemple, ou de béton bas carbone, sera encouragée ».
L’AIMCC a relevé ce point particulier. « Des solutions techniques éprouvées existent et continuent de se développer. Ceci, grâce aux efforts d’innovation et d’investissement des différentes filières industrielles de la construction. Et la performance repose souvent sur des équilibres entre les différents matériaux. »
Systématiser le bois en maisons individuelles
L’association confirme donc qu’elle restera attentive à la suite des travaux annoncés. L’objectif est que les clients puissent disposer des méthodes constructives adaptées à leurs besoins. Qu’ils aient les moyens d’effectuer des choix éclairés. Et pour que tous les acteurs et filières puissent continuer à développer des solutions réellement efficaces et durables. Pour toutes ces raisons, l’AIMCC confirme vouloir« continuer à travailler aux côtés des pouvoirs publics et des différentes parties prenantes pour réussir le plan de relance ».
Par contre, lorsque le gouvernement annonce vouloir « exclure en maisons individuelles les systèmes de chauffage exclusifs au gaz, dès l’entrée en vigueur de RE 2020… », la chose inquiète beaucoup la FFC. Idem en ce qui concerne la volonté de « rendre, à l’horizon 2030, l’usage du bois et des matériaux biosourcés quasi-systématique. Y compris en structure gros œuvre dans les maisons individuelles et le petit collectif ». Des solutions constructives que la FFC considère comme si peu compétitives,« qu’elles ne représentent qu’une infime partie du marché… » Tout en regrettant la disparition de modes de chauffage répandus. Surtout à un moment où les pouvoirs publics « répondent par une absence totale de mesure de relance pour le logement neuf, accompagnée d’un accroissement de contraintes de construction en maisons individuelles ». La FFC estime que « la RE 2020 engendrera une hausse importante des coûts de l’ordre de + 10 % à + 15 % ».
Essayer de développer une production de bois français
Même son de cloche du côté des logements collectifs, la FPI regrette « qu’avec la RE 2020, le gouvernement ait décidé de durcir les normes au niveau de la construction neuve. Alors que les gisements d’économie de CO2 sont colossaux dans le parc existant ». Pour Alexandra François-Cuxac, présidente de la FPI France : « La RE 2020 reste un pari très risqué en temps de crise […]. Elle sera un facteur de progrès et de transformation, si l’Etat sait être pédagogue. Et accompagner les professionnels. Elle accentuera la crise si elle se fait au mépris des réalités de terrain ».
Enfin, pour accompagner la RE 2020, le gouvernement doit annoncer « des initiatives pour favoriser l’innovation et l’essor d’une production nationale de bois de construction. Et pour le développement les usages mixtes entre matériaux ». Ce qui en soi est positif. D’autant plus que des progrès sont encore à faire côté sensibilité au feu du bois. Car, quoi qu’on en dise, le bois, ça brûle un peu mieux que les autres matériaux de construction minéraux ou métalliques ! La sécurité des habitants n’est pas moins important que la protection de l’environnement. De même, les choses doivent suivre aussi au niveau local. Par exemple, le souhait d’installer une scierie industrielle, à Lannemezan, dans les Hautes-Pyrénées, dans le but de produire du bois d’œuvre, semble déjà mobiliser des troupes contre lui [voir en fin de document pour en savoir plus]. Une réalisation certes à l’initiative de la multinationale italienne du bois Florian, mais tout de même installée sur le territoire national…
Jean-Marc Domange avait raison
Organiser une production nationale de bois de construction se présente donc déjà comme une course de fond, avec obstacles… Il y a quelques années de cela, Jean-Marc Domange, le président-fondateur de Ciments Kercim1, aujourd’hui disparu, m’avait dit : « Essayez de créer un outil industriel en France, tout le monde s’y oppose. Essayez de fermer un site industriel existant et vous rencontrez la même opposition ! »Ce qui se passe à Lannemezan ou les difficultés rencontrées par Ciments Calcia, sur son site de Gargenville, lui donnent raison… Et les ouvriers de l’usine Firestone de Béthune, dont la fermeture est programmée, ne diront pas le contraire !
Frédéric Gluzicki
1Ciments Kercim était le premier site de production de ciments indépendant réalisé en France. Il a été repris par Lafarge, puis cédé à CRH au de la fusion avec Holcim. L’unité est aujourd’hui aux couleurs d’Eqiom.