L’œuvre du plasticien Jean-Michel Boulaire est en dialogue constant avec l’architecture. L’artiste s’inspire des bunkers du littoral breton de son enfance. Mais aussi du monde de la construction. Découverte.
Article paru dans le n° 94 de Béton[s] le Magazine
Le goût du plasticien Jean-Michel Boulaire pour l’architecture se manifeste dans son œuvre sculptée. L’artiste parisien introduit une certaine abstraction, afin de parvenir à une forme épurée, empreinte d’une mystérieuse poésie brute. C’est la texture même du matériau, ici le béton, qui commande la forme, qui doit sortir de la matière. Jean-Michel Boulaire est breton d’origine. De son enfance sur le littoral, il a gardé un souvenir, à la fois rassurant et anxiogène, pour les bunkers. Qui jalonnaient la côte.
« Ces châteaux forts en péril, c’était des lieux de théâtre pour mon imaginaire. Où j’inventais du drame et des tensions. Qui habitent toujours mes volumes aujourd’hui », se souvient Jean-Michel Boulaire.
Paul Virilio, auteur de l’ouvrage “Bunker Archéologie”, décrit très bien ces tensions, « l‘épaisseur de ses parois signale la puissance probable de l’impact ».
Le littoral breton jonché de bunkers
Paul Virilio compare les ouvertures réduites au « plissement d’une paupière », cherchant à protéger ses yeux. Monuments du péril d’une époque lointaine où l’Europe s’enfermait de toutes parts. Les blockhaus sont toujours là, impressionnants, carapaces de béton aux allures fantomatiques. Les escapades de Jean-Michel Boulaire sur le littoral breton ont été marquées par la présence.
D’abord mystérieuse de ces masses de béton ouvragé, plus tout à fait menaçantes, mais toujours pas vraiment rassurantes. Objets à explorer et redouter, peut-être, à la fois. Tout un programme… C’est ainsi que Jean-Michel Boulaire, à l’aide coffrages réalisés en bois recyclés et d’une recette de béton maison (il y ajoute même du laiton, de l’aluminium, du fer…), fait naître des sculptures miniatures aux formes architecturales épurées.
Des formes géométriques habitées
Certains diront que ce sont des formes géométriques habitées, d’autres se demanderont à quoi elles correspondent. « La série “Points de vue” est une proposition, mettant en valeur les qualités plastiques du modèle de bunkers M272 de la marine allemande. Je l’ai choisi parmi des dizaines que j’ai observées. Il est conçu selon un axe de symétrie. J’ai conservé la moitié droite pour en extraire l’essentiel. L’ouverture du bâtiment est ici obturée pour le déposséder de sa fonction originale et pour en faire un vrai sujet de sculpture. L’alternance de surfaces saillantes très affirmées et de surfaces lisses en font un objet sculptural fort. Et les quatre exemplaires en béton permettent une multitude de combinaisons de mise en exposition et de points de vue sur ces composants formels. C’est un objet différent à chaque regard »,explique Jean-Michel Boulaire.
Une recette béton maison
De taille réduite, ses œuvres aux formes géométriques invitent le spectateur à questionner son point de vue. Ainsi que son rapport à l’espace. « Les formes de la série des monotypes ont été conçues pour être vues verticalement dans les deux sens. On peut donc les retourner à souhait pour renouveler notre regard. Elles ne sont donc pas statiques. Ce sont de lourds monolithes massifs et denses, mais comme ils flottent au milieu de la feuille, ils deviennent aériens et légers. Ils contiennent ainsi. Comme c’est le cas dans certaines de mes pièces, leurs contraires et surtout la possibilité, même minime, de ne pas être figée par un seul regard, un seul point de vue. Et je n’aime pas que les choses ne soient pas possibles. C’est pourquoi les “pierres” en béton (elles ne sont pas en béton) peuvent s’ouvrir et leurs parties s’articuler. »
Jean-Michel Boulaire accorde beaucoup d’importance au titre de ses œuvres. Il met en exergue l’oxymore, cette figure de style qui vise à rapprocher deux termes (un nom et un adjectif) que leurs sens devraient éloigner, dans une formule en apparence contradictoire.
Muriel Carbonnet
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