Pour accompagner le débat, l’Ademe dévoile quatre scénarii pour atteindre la neutralité carbone. Ce rapport de 687 pages propose plusieurs alternatives plus ou moins ambitieuses et contraignantes.
La question de la transition environnementale est plus que d’actualité et bien des secteurs doivent s’en saisir. Malgré la crise du Covid et les bouleversements économiques actuels, l’écologie fait partie des premières préoccupations des Français. Et ce, depuis plusieurs années. Surtout que selon le dernier rapport du Giec, nous n’allons pas dans la bonne direction pour juguler le réchauffement climatique. Sachant qu’à ce rythme, ce dernier pourrait atteindre les + 4°C en 2100.
A l’aube d’une nouvelle échéance électorale, la trajectoire climatique que la France va emprunter peut évoluer et pèsera, si la question n’est pas trop éclipsée par d’autres thématiques dans les futurs débats. Pour accompagner la réflexion collective, l’Ademe vient de mettre en ligne le rapport “Transitions 2050 – Choisir maintenant, agir pour le climat”. Ce document de 687 pages dresse 4 scénarii pour atteindre la neutralité carbone en 2050 (il existe bien sûr des notes de synthèse plus digestes pour les moins courageux !). Et ce, conformément aux objectifs de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) établis suite aux Accords de Paris et inscrits dans la loi française en 2019.
Les quatre scénarii (S1, S2, S3 et S4) vont du plus ambitieux au moins contraignant. En effet, le S4 suit une trajectoire tendancielle, relative aux ambitions actuelles. Ils mettent en exergue des situations et des solutions concrètes. Et l’Ademe compte bien compléter son travail avec de nouveaux éléments sur le mix énergétique fin janvier 2022 et sur les impacts macro-économiques, fin mars prochain.
L’écologie, une préoccupation majeure
Dans ce rapport, aux côtés de l’alimentation, le mode de vie ou encore la mobilité et l’industrie, le bâtiment tient une place importante. En effet, ce secteur est un grand consommateur d’énergie (40 %) et est responsable d’un quart des émissions de gaz à effet de serre. Le S1, baptisé “génération frugale” mise sur une frugalité choisie, mais aussi contrainte. Ici, place à la préférence locale et à la sanctuarisation de la nature. « Les grandes villes sont délaissées pour les moyennes et les zones rurales pour plus de proximité, explique Valérie Quiniou, directrice exécutive, prospective et recherche à l’Ademe. Le bâti existant est optimisé. » Dans ce scénario, les logements vacants sont investis, les résidences secondaires sont converties en principales, et les locaux et anciens bureaux sont transformés en logements.
Lire aussi :
Enquête : Entreprises et industriels face à leurs ambitions environnementales
« De fait, la construction neuve chute. Mais quand en 2015, il y a moins de 1 % de rénovations BBC, elles sont de l’ordre de 80 % en 2050. Et ce, en une seule étape, c’est-à-dire, un chantier. » Ici, la rénovation énergétique tient une place importante. Elle est massive et rapide. Côté industrie, une politique d’emploi devra être menée pour répondre à la notion de proximité. Le “made in France” et la low tech seront les axes d’investissement. Ce S1 permettrait, de façon générale, de diviser par plus de deux la demande énergétique. En développement les puits naturels (ou puits biologiques comprenant des espaces de biodiversités, de forêts…), la France atteindrait ainsi – 42 MteqCO2 en 2050. Et avec de nouveaux indicateurs, comme la qualité de vie et la prospérité prendraient le pas sur la notion de croissance.
Le bâtiment et la rénovation énergétique au cœur de la transition environnementale
Pour le S2, nommé “coopérations territoriales”, les villes moyennes sont à l’honneur et transformées de façon radicale. « Nous parlons de ville du “quart d’heure”, où l’usage du vélo et de la marche se fait facilement. Il y a un changement d’usage du bâti et une accélération de la rénovation énergétique pour atteindre 80 % de BBC, mais cette fois-ci par geste. C’est-à-dire, plus adaptée au rythme des ménages. » Aussi, les équipements sont mutualisés au sein des logements. Par exemple, l’électroménager est partagé entre les voisins.
A l’échelle industrielle, ce scénario prévoit un fort accompagnement dans la décarbonation des sites, mais aussi pour le recyclage et la revalorisation des matériaux. Il y a ainsi moins de transport de marchandises. « Dans ce cas de figure, 80 % de l’acier, du plastique, du verre et du papier-carton viennent du recyclage. Il y a aussi un effort de réindustrialisation ciblée en lien avec les territoires. » Le S2 permettrait une réduction de 50 % des consommations énergétiques. Et en mixant, puits biologiques et technologie de captage de CO2 pour certaines industries, comme celle du ciment, la France atteindrait – 28 MteqCO2 en 2050.
Entre frugalité et innovations technologiques
Dans tous les secteurs, le S3 “technologies vertes” s’appuie plutôt sur de nouvelles technologies, le numérique et les innovations que sur un changement de vie. La biomasse est davantage exploitée pour la méthanisation, le bois énergie ou encore pour la fabrication de biocarburant. L’industrie a plus recours aux énergies décarbonées comme l’hydrogène en grande partie importé. Et 60 % de l’acier, de l’aluminium, du verre, du papier-carton et des plastiques viennent du recyclage. Au niveau de l’habitat, les Français favorisent les métropoles. « Nous sommes dans une logique haussmannienne de déconstruction/reconstruction à grande échelle. »
Lire aussi :
Dossier : Comment les industriels s’emparent du bas carbone ?
L’accent est mis sur la rénovation énergétique, mais de façon moins ambitieuse. Seuls 50 % des chantiers sont équivalents à un BBC. Avec cette trajectoire, la consommation énergétique diminuerait de 40 %. L’aspect numérique étant ainsi plus important et donc plus gourmand en énergie.
En 2050, comme les puits biologiques sont plus sollicités, la France atteindrait – 9 MteqCO2. Le S4, “pari réparateur” est un prolongement de notre mode de vie actuel. « Dans l’habitat, la rénovation énergétique est industrialisée par la préfabrication quand cela est possible. La moitié atteindrait des niveaux BBC ou passifs. » Le recours aux nouvelles technologies et à la domotique sert à la diminution de l’impact environnemental du bâti et la construction neuve est maintenue, tout comme l’étalement urbain. La décarbonation de l’industrie passe par le captage et le stockage de CO2 (CCS).
Quel degré de désirabilité ?
Ainsi, ce scénario mise tout sur ces technologies plus que sur les puits biologiques et la sobriété pour réparer l’impact environnemental. Selon les estimations de l’Ademe, elles consommeraient près de 6 % de l’énergie. En termes de ressources, 45 % de l’acier, de l’aluminium, du verre, du papier-carton et des plastiques sont issus du recyclage. Dans cet équilibre, en 2050, la France serait autour des 1MteqCO2.
Avec ces différents “plans d’attaque”, plusieurs questions se posent. Dans les scénarii les plus en rupture, quel est le degré d’acceptabilité, voire de désirabilité de la société ? Comment articuler la transition écologique et la justice sociale ? Pour les S3 et S4, quel coût engendrent ces transitions technologiques ? Quand seront-elles assez matures ? Quid des émissions cumulées entre le moment où ces innovations sont démocratisées et aujourd’hui ? Chaque scénario comporte son lot de risques. Qu’ils soient sociétaux ou d’ordre environnemental.
Mais suite à ces deux ans de travaux qui ont mobilisé plus de 100 personnes, l’Ademe rappelle qu’il y a des incontournables : la nécessaire accélération des choses. « Nous avons encore le choix, mais il faut choisir vite », explique Valérie Quiniou. Et Arnaud Leroy, Pdg de l’Ademe de conclure : « Plus nous prendrons des mesures tardives, plus elles coûteront cher. Les années 2020-2030 seront cruciales et la France doit rester à l’avant-garde de la question climatique ».