Ingénieur, artisan et précurseur dans le domaine des bétons, Pierre Richard y a laissé son empreinte. Pourtant, il est le père des BHP et des Bfup…
Cet article est à retrouver dans le n°72 de Béton[s] le Magazine.
Rendons à César ce qui appartient à César ! Il aura fallu l’association des travaux du physicien Pierre-Gilles de Gennes (1932-2007) sur les mélanges granulaires et ceux de Pierre Richard (né à Villeurbanne en 1927-2002), pour propulser le béton des Romains au rang de matériau High Tech. Qui se souvient de l’homme à l’origine des bétons à hautes performances (BHP) ou des bétons fibrés à ultra hautes performances (Bfup) ? S’est-on réellement penché sur l’un des pères de ces développements “révolutionnaires” pour le monde de la construction ? Remettons-nous dans le contexte.
Celui qui nous intéresse se nomme Pierre Richard. Dès 1967, il est directeur scientifique de l’entreprise Bouygues. Et dans ce cadre, cet ingénieur de l’Ensais (Ecole nationale supérieure des arts et d’industrie de Strasbourg, actuelle Insa) se penche sur les bétons.
Convaincu que l’évolution d’une structure ne peut se faire sans celle des éléments, qui la constituent, Pierre Richard va consacrer sa carrière à la recherche de nouveaux matériaux utilisables, notamment en génie civil. Il commence par développer la réalisation d’éléments préfabriqués en béton précontraint, notamment, pour la construction du Parc des Princes, à Paris (1972). « Pierre Richard avait un sens intuitif des structures. Et cela au premier regard. Il comprenait instantanément leur fonctionnement, sans même faire de calculs. Et “voyait” transiter leurs efforts, se souvient Bernard Raspaud, l’un de ses proches collaborateurs, puis son successeur chez Bouygues. Il était très rigoureux dans ses raisonnements. Son mot d’ordre : “il ne faut rien mettre d’inutile ! C’est ainsi qu’un jour, il m’a confié : “j’ai trouvé ce qu’il faut enlever au béton !” »
Combler les “vides” dans la matière
Les recherches sur ce qui allait devenir les bétons à hautes performances (BHP), mais aussi les bétons fibrés à ultra hautes performances (Bfup), démarrent au Danemark sous la direction du professeur H.H. Bache. Elles sont menées dans le cadre des technologies CRC (Compact Reinforced Composition), plutôt orientée vers la production d’éléments préfabriqués, et CCC (Compact Cement Concrete). Alliés à la précontrainte, ces derniers engendrent des ouvrages d’art plus fins, plus élancés et plus durables. Pierre Richard commence par analyser les brevets de l’ingénieur et du bâtisseur Albert Caquot (1881-1976) autour du béton armé, de l’élasticité des matériaux, de la compression du béton, de sa résistance…
Pierre Richard commence par analyser les brevets de l’ingénieur et du bâtisseur Albert Caquot (1881-1976) autour du béton armé, de l’élasticité des matériaux, de la compression du béton, de sa résistance… Il se tourne vers l’emploi de superplastifiants. Puis, afin de combler les fameux “vides” présents dans la structure des bétons, il teste l’utilisation de la fumée de silice. Francis Bouygues et tout le groupe sont alors très concernés par ses recherches. « Il apportait toujours des solutions aux difficultés rencontrées lors de la réalisation d’ouvrages, comme au Koweït, en 1981, avec le pont de Bubiyan. Je n’étais pas d’accord avec lui sur ce pont. J’avais même rejeté sa solution, car ce n’était pas assez économique. Il m’a alors demandé de le rejoindre et il a argumenté pendant 4 h, dont 2 h passées en voiture. Le lendemain, il présentait un projet qu’il avait réalisé dans la nuit… A 20 % moins cher ! Autant dire que Bouygues a foncé ! Pierre était capable de solutionner les problématiques les plus complexes », commente Bernard Raspaud.
Sans le BHP, pas de Pont de Normandie
L’emploi des fumées de silice en association avec un superplastifiant améliore la maniabilité des bétons. Comme sur le chantier de Grande Arche de la Défense, à Paris, avec la mise en œuvre d’un BHP, qui apporte à la fois une haute résistance aux jeunes âges et une meilleure ouvrabilité rendue nécessaire pour un pompage sur une hauteur de plus de 100 m. « Dans les années 1980-1990, Bouygues a su s’entourer de chercheurs d’une incroyable qualité scientifique, il n’y a jamais eu d’équivalence depuis », insiste Yves Malier, ingénieur conseil, ancien directeur de la division “Ouvrages d’art – matériaux et structures” du LCPC (actuel Isfftar), créateur de l’Ecole française du béton… Les deux hommes se sont rencontrés, dans les années 1970, lors de la reconstruction du Louvre des Antiquaires, à Paris. Ils se sont s’influencés l’un l’autre. « Sans le BHP de Pierre, il n’y aurait pas eu le pont de Normandie et ses pylônes de 214 m de hauteur », reprend Yves Malier. Ni le pont de l’île de Ré, premier grand ouvrage d’art en BHP et inauguré en 1988…
Une officialisation en 1982
Secrètement, ces deux ingénieurs ont fait coulé du BHP sur une partie du périphérique de Paris, sans que ni le maître d’œuvre et ni le maître d’ouvrage ne soient au courant ! L’officialisation de ce fameux béton ne se fait qu’en 1982, lors des Assises nationales de la recherche organisées par Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de la Recherche. Ses nouvelles propriétés en terme de délais d’exécution, de facilité de mise en œuvre, d’allègement de formes, d’étanchéité aux gaz et, peut-être et surtout, pour Bouygues à l’époque, de gains sur le coût des fondations !
Donc économiquement plus rentable, et par voie de conséquence, préférable… pour l’ensemble des acteurs de la construction.
Une grande diversité dans les ouvrages réalisés en BHP (notamment par Bouygues en France et dans le monde), de toutes natures et de toutes dimensions, a été d’autant plus remarquable que, dans cette même décennie (période allant de 1985 à 1995), Américains, Finlandais, Japonais, Norvégiens… se limitaient respectivement aux immeubles de grandes hauteurs (IGH), aux plates-formes offshore, aux ouvrages maritimes et à la préfabrication en grandes séries de petits composants.
Un nouveau matériau appelé BPR
Et puis, « Pierre Richard s’est intéressé avant l’heure au développement durable et à l’analyse systémique des ouvrages, en optimisant ces derniers par rapport aux propositions des maîtres d’ouvrages et en les projetant dans l’avenir, dans leurs futures fonctions, reprend Yves Malier. En intégrant le dimensionnement de la structure mais aussi les gains de délais, de main-d’œuvre, de matériels et de maintenance future. Notamment sur le pont expérimental de Joigny dans l’Yonne, à 200 km de Paris, avec un BHP prévu pour 300 ans. Avec pour la première fois en France, l’utilisation de la précontrainte extérieure. L’esthétique y a gagné, la durabilité aussi ». Mais l’appétit scientifique… vorace de Pierre Richard ne s’est pas arrêté là.
Il a fini par inventer, en 1990, un nouveau type de matériau à très haute performance : le béton à poudres réactives (BPR), à teneur élevée en fumée de silice, qui possède une exceptionnelle résistance à la compression et une résistance traction/flexion suffisante pour pouvoir s’affranchir des armatures passives. Sans compter une ductilité très élevée. Son concept est alors optimisé grâce à l’association avec Lafarge et Rhodia, qui donnera naissance à un Bfup (béton fibré à ultra hautes performances), connu sous le nom de Ductal. Sa première utilisation se fait au Québec, en 1997, avec la passerelle piétonne de Sherbrooke. Cet ouvrage de franchissement de 60 m de long est composé de 6 segments de treillis post-tendus. Le tablier ne fait que 30 mm d’épaisseur. « Cet exploit architectural n’aurait pas été possible sans son invention », s’exclame Bernard Raspaud. Depuis, le Ductal et nombre d’autres Bfup ont pris leur envol…
Cet article est à retrouver dans le n°72 de Béton[s] le Magazine.