Respectivement président et secrétaire général de l’UNPG, Alain Plantier et Mathieu Hiblot dressent l’état de la production de granulats en France. Très affectée par la crise, l’activité a repris à un rythme “normal”, tout en poursuivant les développements en faveur de l’environnement.
Quelle est la conjoncture des granulats en France ?
Alain Plantier : La fin de 2019 et le mois de janvier 2020 laissaient augurer une année “correcte” au minimum. Depuis mars, nous avons eu des soubresauts énormes, avec un arrêt total de l’activité. Au plus fort de la crise sanitaire, cette dernière était descendue à 20 % de celle d’une année “normale”. Mais en moyenne, entre mars et mai, on était plutôt sur du 35 % à 40 %. Avec des disparités. La dégringolade a été très importante dans les métropoles, davantage que dans les zones rurales. Ce qui a aggravé les conséquences sur notre activité, étant donné le poids de ces marchés.
Mais notre profession a joué le jeu. Le gouvernement avait décidé que la construction devait continuer à fonctionner. Aussi, même si la demande était faible – les grands travaux se sont arrêtés –, nous avons mis un certain nombre de choses en place pour que le bâtiment et les travaux publics puissent continuer à travailler. Et nous avons constitué des stocks en prévision du redémarrage.
L’activité a-t-elle repris ?
A. P. : Elle a été plus longue à reprendre dans les métropoles. Mais on est loin d’avoir rattrapé ce qu’on a perdu. Aujourd’hui, nous sommes à un rythme comparable à celui de l’année dernière et nous risquons de terminer l’année sur une baisse de l’ordre de 15 %. La crise et les élections municipales reportées ont provoqué un arrêt total des commandes publiques. Nous redoutons que les entreprises, craignant pour leurs carnets de commandes, n’aillent pas trop vite dans la réalisation des travaux, afin de lisser leurs activités.
Comment les carriers se sont-ils organisés pendant la crise sur le plan sanitaire ?
A. P. : Dès le début de la crise sanitaire, l’UNPG a travaillé sur la protection des salariés – qui est fondamentale pour nous. Nous avons été l’une des premières professions à sortir des protocoles sur l’équipement validés par l’Etat. Ces derniers ont été mis en place de manière très rapide. Même si les carrières comptent peu de personnels, il existe des lieux de concentration, qui ont nécessité des mesures adaptées : bureaux, réfectoires, vestiaires, sanitaires. Il y a aussi des tâches qui imposent une certaine proximité comme les phases d’entretien. Ou encore des moments particuliers comme les changements de postes, qui impliquent l’acheminement des personnels dans un véhicule. Dans les cas des engins, au changement de conducteur, il faut désinfecter la cabine. Je pense qu’un certain nombre des mesures vont rester pérennes. Qu’on ne reviendra jamais à la situation initiale. Par exemple au pont-bascule, nous avions éliminé les plexiglas entre les personnels et les clients. nous venons de faire marche arrière.
La crise a incité la société à s’interroger sur la protection de l’environnement. Où en est-on du recyclage des produits du BTP ?
A. P. : Nous travaillons sur ces sujets-là depuis plus de 30 ans. A présent, nous recyclons 80 % des matériaux issus du BTP – un chiffre reconnu par l’Ademe2. Nous sommes l’une des filières de recyclage, qui fonctionne le mieux. Seul, l’acier est devant nous, avec 90 %.
Nous bénéficions d’une organisation qui met en œuvre des zones de transit. Nous transportons les matériaux vers des centres de retraitement où ils sont recyclés à 100 %. Ou dans des carrières où ils sont mélangés avec des matériaux de premier usage.
Mathieu Hiblot : Les bonnes pratiques se sont mises en place sur les chantiers. Et nous avons une filière qui fonctionne très bien, avec des performances qu’il n’est pas facile de retrouver même si on peut toujours les améliorer. Mais nous craignons les conséquences du projet de REP3. Le texte de loi laisse entendre que les déchets en mélange pourraient être aussi considérés comme triés. Or, pour pouvoir recycler les produits de chantier dans le béton, il ne faut pas qu’il y ait d’éléments indésirables. Nous redoutons une perte de qualité à l’entrée et une atteinte à notre performance environnementale.
Comment incluez-vous la biodiversité dans vos préoccupations environnementales ?
M. H. : Le réaménagement des carrières est intégré dès la phase projet des exploitations, car nous devons rendre les terrains à leur propriétaire ou à une collectivité. Cela nous incite à restituer la biodiversité d’origine, voire davantage. Depuis les années 1970, la profession a mené de nombreuses études de ce qu’on appelle aujourd’hui le génie écologique.
Avec l’Unicem et en collaboration avec le ministère de la Transition écologique et solidaire, nous venons de publier un guide fondé sur notre doctrine4 relative à l’impact de nos activités, afin de renforcer l’accompagnement de nos adhérents, des bureaux d’études et des services administratifs.
Pouvez-vous nous citer des exemples concrets ?
M. H. : Dans une carrière, on n’exploite pas toutes les surfaces en même temps. On décape la terre à un endroit pendant qu’on exploite une autre partie. Et que l’on réaménage une troisième zone. On peut être conduit à déplacer des habitats, recréer des mares provisoire, afin que des espèces présentes là où elles sont puissent rester et se développer. Nous nous intéressons par exemple aux abeilles sauvages, des insectes pollinisateurs qui vivent dans des galeries creusées dans le sable, un habitat que l’on peut recréer. D’autres animaux colonisent les roches meubles, comme l’hirondelle des rivages. En roche massive, on va intéresser différents oiseaux qui viennent y nicher : hiboux, grands-ducs…
Ces dispositions peuvent être onéreuses !
A. P. : Depuis très longtemps, le monde des carriers sait que la réalisation d’une carrière n’est qu’une parenthèse dans le paysage et que les exploitations doivent servir à favoriser la biodiversité. Cela fait partie de nos gènes et notre métier ne se conçoit qu’avec une vision d’ensemble de la carrière. De sa création à son réaménagement, en concertation totale avec les parties prenantes : riverains, associations, élus.
Il y a 25 ans, on créait beaucoup de bases de loisirs. A présent, nous réalisons davantage de réserves ornithologiques. Notre métier s’adapte à l’évolution sociétale et a même été précurseur. Nous avons mis en place la première des chartes pour labéliser nos réaménagements dans les années 1990. Ce système a été complété par une charte RSE.
La carrière de demain intégrera-t-elle davantage les préoccupations environnementales ?
A. P. : Nous allons vers une certaine automatisation. Avec des installations de plus en plus informatisées, mais aussi un travail sur les nouvelles énergies. Aujourd’hui, nous travaillons sur l’automatisation d’un certain nombre de chaînes de façon à être plus vertueux, moins consommateurs d’énergie.
Les installations de traitement sont électriques. Et l’on est aussi passé à l’électrification du transport avec les bandes transporteuses. Mais il reste les problèmes d’engins de chargement et de transport. Les constructeurs travaillent sur les énergies nouvelles, mais il manque encore des solutions pour les gros engins.
Propos recueillis par Michel Roche
1Union nationale des producteurs de granulats.
2Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.
3Responsabilité élargie des producteurs. La loi impose de nouvelles obligations, en termes de collecte et de recyclage des matériaux sur les chantiers.
4“Eviter, réduire, compenser : un guide de référence pour protéger la biodiversité”.